La présente photographie (voir fig. 1) cristallise les raisons d’être de CHINA SERIES, une collection d’œuvres que l’artiste suisse Julian Vogel crée et interprète depuis plusieurs années1. Ce projet artistique repose sur un double étonnement provoqué par la forme d’un diabolo que l’on peut reconnaître malgré ses coques brisées, ainsi que cet état résultant d’une rupture, la casse de la céramique qui semble les composer — étant donné le titre de la collection. D’une part, ce matériau ne paraît pas aussi robuste que le plastique habituellement privilégié de nos jours pour la plupart des diabolos commercialisés. D’autre part, sa destruction fait partie des processus de création, de représentation et de diffusion de ladite collection. Ainsi le diabolo peut faire encore œuvre même s’il ne peut plus tourner dans une ficelle animée par des baguettes et être a priori jonglé. Cet exemple montre comment une impropriété du diabolo constitue l’une des forces expressives de la plupart des propositions artistiques de Julian Vogel. Dans chacune de ces œuvres nommées « variations », ce qui advient (ou du moins risque de se produire, même par accident) répond au souci de l’artiste de composer à la fois avec les registres concret et abstrait du jonglage (Thomas par. 12), respectivement définis par la forme d’un objet spécifique et clairement identifiable (deux cônes liés par les extrémités les plus fines) et un matériau dont la « cassabilité »2 peut faire écho au caractère fragile d’entités humaines et non humaines, elles aussi intégrées dans l’environnement scénique.
CHINA SERIES rassemble non seulement des performances, mais aussi des installations, des sculptures et des publications que nous étudions depuis plusieurs années aux côtés d’autres œuvres, sélectionnées selon deux principaux critères croisant des enjeux propres au cirque et à l’écologie — ici considérée comme science des rapports d’un organisme avec le monde environnant (Haeckel 286 trad. Audier 13)3. Premièrement, ces œuvres font référence au cirque et/ou évoluent dans le réseau de production et de diffusion qui lui est dédié. Deuxièmement, l’expérience esthétique qu’elles offrent nous amène à mettre en perspective des dynamiques et conséquences propres au renouvellement de la cohabitation et de l’interaction entre humain et non humain. Par conséquent, ces œuvres peuvent être reçues comme des propositions artistiques s’inscrivant dans un même élan : celui de résister à la vision d’un monde où l’humain se dissocierait du reste du vivant en proposant une figuration alternative à la centralité humaine.
En considérant cette articulation qui met en jeu la capacité des circassien·ne·s à agir et être agi·e·s dans le cadre d’interactions avec les entités qu’il·elle·s mobilisent sur scène, notre étude de CHINA SERIES repose sur un parti pris théorique. Nous nous inscrivons dans la lignée de récentes contributions qui ont tenu compte d’approches dites « écothéâtrales » (voir notamment Chaudhuri ; Fuchs ; Chaudhuri et Fuchs ; Marranca ; May; Kershaw ; Lavery Performance and Ecology ; Finburgh et Lavery ; Cless) pour instiguer en France des liens féconds entre les arts de la scène et des enjeux écologiques (voir en particulier Sermon ; Merabet ; Merabet et al. ; Aït-Touati et Hamidi-Kim)4. Si cet ancrage disciplinaire peut être considéré comme un pas de côté vis-à-vis des études universitaires sur le cirque, il nous apparaît pertinent pour défendre dans la présente étude une certaine complémentarité entre les cadres théoriques actuellement privilégiés dans ledit champ universitaire et ceux relevant d’approches écothéâtrales. D’un côté, les études écothéâtrales se proposent depuis le milieu des années 1990 d’envisager l’analyse d’œuvres scéniques en prêtant attention à la façon dont des histoires et des actions humaines mises en jeu sur scène participent d’un milieu physique (organique et inorganique) qu’elles « affect(ent) » autant qu’elles sont « affecté[es] par lui » (Glotfelty XIX trad. Sermon, « Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 5). De l’autre, une place de plus en plus importante est faite ces dernières années au corpus des nouveaux matérialismes5 dans la littérature des études circassiennes (voir par exemple Focquet ; Lievens ; Trapp ; Robitaille) pour notamment défendre un « tournant non humain » du cirque (voir en particulier le dossier qui lui est dédié dans le magazine Voices), sans toutefois soulever pour le moment d’éventuelles limites critiques et analytiques que pose l’usage d’une telle expression. Eu égard aux inflexions propres à l’ensemble de ces travaux, ainsi que de leur but commun de rendre compte des façons dont « les artistes choisissent de faire exister le tissu des relations qui peuvent se tramer entre les mondes humains et autres qu’humains » (Sermon, « Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 5), notre étude consiste à appréhender la façon dont le jonglage permet de réfléchir dans le sensible à ces continuités ontologiques. Nous supposons qu’il a, comme d’autres arts — et pas seulement ceux dits du cirque —, « les moyens de rendre compte des présences multiples, des modes d’existence hétérogènes, des forces, des puissances, qui habitent le monde et le composent en une fragile écologie » (Damian 8). Ces moyens nous semblent exister dans des scènes où des jongleur·se·s « se positionne[nt] dans un entre-deux, paradoxal pour nos habitudes de pensée dualiste, puisqu’il [leur] demande d’être “à la fois décentralisé·e[·s] mais actif·ve[·s], recevant mais produisant, autonome[s] mais en confédération, renonçant au contrôle mais cherchant à s’articuler” » (Kramer 85–86 cité par Sermon, Morts ou vifs 124). Autrement dit, ces jongleur·se·s proposeraient une autre modalité de présence des interprètes et des éléments au sein d’un milieu de vie, qui peut parfois impliquer leur soustraction scénique, mais en aucun cas l’absence d’interventions de leur part sur l’action qui se déroule au plateau. Étant donné l’importance que ces praticien·ne·s donnent au contact tangible dans leur attachement aux éléments avec lesquels il·elle·s peuvent jongler, le fait qu’il·elle·s aient encore prise sur ce qu’il·elle·s animent et ce qui peut les animer en retour nous semble fondamental.
Ces pistes seront travaillées à partir d’une hypothèse qu’Emma Merabet formule dans un article ayant pour titre principal « Décentrer l’humain ? », en suggérant de mieux penser l’humain aux côtés du non humain, plutôt que de se positionner pour, contre ou au-delà de l’humain :
[…] s’il est effectivement question du devenir de l’humanité, celui-ci ne peut se raconter ni s’éprouver suivant les déroulements et dénouements
traditionnels du drame, mais suppose au contraire de nouveaux attachements — de nouvelles manières d’enchaîner (des actions), de nouer (des présences), et ainsi même de faire tenir des mondes, plus ou moins durablement. (par. 40, c’est l’autrice qui souligne)
Au regard des rapports au monde que les jongleur·se·s peuvent partager, nous nous demandons comment il·elle·s peuvent, à travers des stratégies esthétiques écocentrées, « fabriquer de nouveaux équipements comme de nouveaux attachements » (Hache 13). En considérant l’attention à la fois comme le critère essentiel d’une autre réalité et l’élément définitoire de son caractère écologique, nous envisageons que ces praticien·ne·s cherchent moins à « désencombrer la scène de la faillibilité du corps physique et pesant » que « valoriser [et réhabiliter] au contraire la matérialité du monde […], qui tient à la ténuité d’assemblages fragiles et enchevêtrés » (Merabet par. 25).
1. Penser les symptômes d’un jonglage post-anthropocentrique
Afin de déterminer dans quelle mesure et à quelles conditions le jonglage pourrait témoigner de la matérialité du « monde muet » des choses qui se « met[tent] désormais en travers de nos manigances » (Serres 16), nous parlerons d’éléments et non uniquement d’objets. L’acception de la notion d’éléments est élargie à ce qui compose l’environnement, en l’occurrence tout milieu de vie ; par conséquent notre étude n’inclut pas parmi eux de choses abstraites6. De plus, cette acception du terme élément nous permet de tenir compte des conséquences de l’éclatement de contours et de repères que distingueraient de nos jours des entités en termes de jonglabilité, pour reprendre un terme employé par Jérôme Thomas (par. 28–29 et 36), au-delà des objets qu’il considère comme codifiés (par. 2). Même si ces derniers demeurent reconnus et ancrés dans la culture et les pratiques du jonglage, notamment au regard du nombre croissant d’amateur·e·s et professionnel·le·s qui utilisent actuellement des produits manufacturés, certain·e·s ont fait le choix durant ces dernières années de fabriquer leurs objets et d’en concevoir de nouveaux — comme ont pu le faire leurs prédécesseur·e·s. D’autres jongleur·se·s préfèrent notamment mettre en valeur des matières polymorphes en étudiant leurs qualités d’animation et leur capacité d’adaptation. Cela étant dit, ces constats7 ne nous semblent pas suffisants pour en déduire une corrélation entre la diversification des éléments jonglés et une prise de conscience écologique de la part des praticien·ne·s.
On note par ailleurs qu’une partie non négligeable des œuvres et pratiques associées au jonglage ont progressivement imprégné durant ces dernières décennies les réseaux de production et de diffusion d’autres filières artistiques que celle du cirque. Ce phénomène témoigne des conséquences de l’« ouverture » (Thomas par. 2) du jonglage à d’autres arts qui s’est manifestement déployée dans les années 1990, un tournant esthétique qui nous semble constituer un des facteurs ayant encouragé plus récemment la diversification de mondes, de valeurs, de significations et d’émotions dont attestent plusieurs œuvres et pratiques s’inscrivant dans le champ artistique du jonglage. Recourir à l’expression « jonglages »8 pour les désigner revient à reconnaître la variété des rapports que des artistes entretiennent avec et depuis cet art, au regard de leurs démarches et points de vue.
Compte tenu de ces mutations esthétiques récentes qui coïncident en partie avec celles d’autres arts de la scène, nous proposons d’adjoindre à l’expression « jonglages » la dénomination « post-anthropocentrique », employée par Hans-Thies Lehmann pour caractériser certaines formes propres au théâtre postdramatique. Sa théorie largement commentée et discutée introduit ce modèle interprétatif afin de dépasser celui dit « dramatique traditionnel », dont la visée est de représenter un monde qui montre notamment « les planches qui [le] signifient » (127) de façon « abstraites mais agencées de telle sorte que l’imagination et l’intuition d[es] spectateur[·ice·s] réalisent cette illusion » créée. Par l’appellation « théâtre post-anthropocentrique » qu’il emprunte à Elinor Fuchs (107), Lehmann désigne un ensemble de « figurations esthétiques qui, avec utopie, mettent le doigt sur une alternative à l’idéal anthropocentrique » (127). Selon lui, l’endroit où se joue un possible décentrement vis-à-vis de l’anthropocentrisme réside dans trois modalités de présence de l’acteur·ice humain·e. Il·elle peut être décentré·e par le recours à des machines animées, ou intégré·e comme un élément parmi d’autres dans une nouvelle échelle spatiotemporelle qui l’excède et relativise sa place. Mais il·elle peut aussi être absent·e, et laisser sur scène « le théâtre des objets »9, tel que l’imaginaient par exemple les artistes de la scène symboliste Craig, Maeterlinck et Kleist en considérant respectivement le pantin, l’androïde et la surmarionnette pour faire de la marionnette un modèle à suivre pour l’acteur·rice.
Ces trois modalités de décentrement ouvrent notre étude à une appréhension des actes de jongler et de présenter le jonglage par Julian Vogel. Nous nous intéressons à plusieurs œuvres de sa collection CHINA SERIES, ces variations10 qui ont avec le catalogue qui les accompagne la spécificité d’être pensées comme un ensemble modulaire. Aucune n’est présentée comme étant en cours de création, ou aurait déjà fait l’objet d’une première marquant leur achèvement11 ; elles sont, au contraire, conçues comme un ensemble de processus, comparables à des couches susceptibles d’évoluer en fonction de deux principaux objectifs que Julian Vogel s’attache à respecter. À partir de principes de construction d’objets en céramique et en porcelaine qui sont substitués aux coupoles en plastique des diabolos, il s’attache d’un côté à découvrir de nouvelles qualités propres à ces matériaux. De l’autre, il s’agit pour lui de non seulement partager ces qualités en fonction du dispositif (Agamben) retenu12, mais aussi de proposer différentes manières de faire l’expérience d’œuvres où la forme du diabolo serait une des raisons d’être13. En délocalisant, voire en escamotant, sa propre personne, la perspective et l’approche à partir desquelles Julian Vogel appréhende la mise en scène et l’interprétation de ses variations tiennent compte de la place que le public peut y occuper.
Afin de comprendre comment ce dernier a pu « (re)penser sa démarche, (re)définir les modalités de contact, [et] (re)négocier la matérialité » (Maleval 106) des éléments dont il dispose, nous étudions tout d’abord la façon dont Julian Vogel met en valeur certaines de leurs qualités poétiques, plastiques et contemplatives. Puis, nous revenons sur les modalités de déploiement de ses scènes-laboratoires en analysant plusieurs expérimentations spatiotemporelles qui nous amènent à considérer la collection CHINA SERIES comme un écosystème esthétique, dont l’ensemble des variations qui la composent correspondent aux axiomes du « théâtre environnemental » de Richard Schechner.
Nous nous appuyons, par ailleurs, sur le lexique éco-esthétique que propose Julie Sermon « en [se] fondant sur un ensemble de spectacles qui ont [notamment] en commun d’affirmer un décentrement vis-à-vis de l’anthropocentrisme » (« Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 5). À ce lexique s’ajoutent plusieurs modes d’articulation possibles entre productions scéniques et exigences écologiques qu’elle suggère (« Théâtre et paradigme écologique » et Morts ou vifs) en croisant les problématiques des arts de la scène aux critères de l’écocritique formulés par Lawrence Buell en vue de définir « l’imagination environnementale » dans le champ de la littérature (7–8 trad. Sermon « Théâtre et paradigme écologique » 527–528). Parmi les « nouages » proposés par Julie Sermon, nous retenons deux principales voies.
La première, dite « pragmatique », suppose de prendre en compte des exigences et des enjeux écologiques au niveau du processus de création et des modes de production et de diffusion des œuvres. En étudiant non seulement la façon dont ces derniers peuvent être remis en question, mais aussi comment l’organisation du travail artistique est repensée, nous voyons que Julian Vogel s’attache à mettre en œuvre des principes proches de ce qu’on appelle les « trois R » de l’écoconception14, à savoir : réduire, réutiliser, recycler. Nous prêtons ainsi attention aux usages, valeurs et fonctions qui peuvent être attribués aux œuvres et aux objets produits après que leurs matériaux aient subi des transformations. Étant donné que la structuration linéaire d’une grille d’analyse15 ne permet pas de rendre compte des nombreux allers-retours entre la scène et l’atelier, la forme de l’inventaire ne reflète pas idéalement le traitement de l’ensemble des matériaux des variations de la collection CHINA SERIES — celles-ci étant à différents états de progression plastiques et scéniques. Nous nous contentons donc de retenir des étapes significatives du cycle de vie des matériaux qui composent les éléments mis en jeu ou qui cohabitent avec eux au plateau. Cette voie pragmatique modifie la forme et le contenu d’un spectacle, ses lieux de représentation, ainsi que son rapport au public et au réel.
Un second mode d’articulation entre arts vivants et enjeux écologiques exposé par Julie Sermon est la voie « éco-poétique ». Plus hypothétique, elle a trait à l’évolution matérielle des écritures mises en œuvre et a pour intérêt d’étudier comment une potentielle « dramaturgie [peut être] élargie aux formes de vie humaines et non humaines qui réclament notre attention, pour que puissent s’élaborer des mondes viables et vivables » (Merabet par. 18, c’est l’autrice qui souligne). Dans cette perspective, on s’intéresse à la cohabitation au plateau de divers modes d’existence que requiert l’invention d’une « expanded dramaturgy » ou d’une « dramaturgy of the background » (Corrieri) qui serait élargie aux non humains, autrement dit qui les intègreraient parmi les paramètres déterminant des décisions ayant trait au processus de composition d’une œuvre.
2. Une poétique de la fragilité
Nous avons affaire dans CHINA SERIES à une multitude de matériaux hétéroclites que Julian Vogel récupère ou prélève sur le temps long au gré de leur rencontre16. Par la mise en jeu au plateau de vaisselle (tasses, bols, vases, assiettes, plats, etc.) en porcelaine et en céramique, il prolonge, limite, interrompt voire annule leur durée fonctionnelle originale en démultipliant leurs usages. Par des processus de réduction, de réemploi et de reconstruction de ces matériaux qu’il ne cesse d’accumuler depuis 2018, il attribue aux objets participant à son jonglage d’autres valeurs ; d’où le fait qu’il emploie l’expression de « surcyclage » (upcycling17) plutôt que de recyclage pour décrire sa démarche. En effet, ces matériaux ne valent qu’en tant que manifestations sensibles dont les manières d’être constituent l’objet et la fin de l’action scénique.
2.1 Assemblages
Après avoir sélectionné ou fabriqué à l’aide de moules18 ses objets, Julian Vogel les troue à la perceuse, puis les joint par paires avec des accessoires (axes, visses, etc.) afin qu’ils puissent devenir des diabolos. Ces assemblages sont continuellement recensés et numérotés pour figurer dans le Catalogue of Objects conçu comme un faux-dori destiné à accueillir autant de brochures que de séries d’objets rattachées à une période précise du processus de création de CHINA SERIES (voir fig. 2). Quelques assemblages font néanmoins exception parce qu’ils ne donnent plus à voir la forme codifiée du diabolo ; par conséquent ils ne figurent pas dans ce catalogue. Il s’agit en l’occurrence des diabolos que Julian Vogel nomme « inversés », en raison du fait que leurs coupoles ont été jointes à l’envers pour constituer d’autres « objets de cirque »19 dont on peut distinguer les formes géométriques dans les variations #3 (voir fig. 3) et #12.
Quand on prête attention à ces objets — parfois assemblés à la vue du public (#6) — ils ne semblent pas être « faits pour jongler »20, étant donné que leurs propriétés physiques remettent en cause la pratique du jonglage. Cette précision n’équivaut pas au caractère codifié que l’on peut attribuer uniquement aux diabolos qui ne seraient pas inversés. L’assemblage ne compte plus de plastique parmi ses « multi-matériaux multifonctionnels architecturés sur mesure » (Brechet, La science des matériaux), mais de la porcelaine et de la céramique qui s’avèrent moins résistantes face aux chocs et chutes. Il arrive même que certains de ces diabolos soient impraticables : certains sont trop légers pour offrir une giration stable, tandis que d’autres sont trop lourds pour que Julian Vogel puisse les faire tourner ou les lancer seul. C’est pourquoi il expérimente dans le cadre de ses variations d’autres prises et manières d’entrer en contact avec ces objets qui ne sont plus doués de la même affordance (Gibson). L’introduction de nouveaux matériaux génère par conséquent le renouvellement du langage gestuel et chorégraphique pour que ces derniers puissent prendre part au projet de CHINA SERIES. Non seulement ce mode de présentation du jonglage est à l’origine d’expressions particulières, mais il peut aussi s’ensuivre la transformation concrète des objets composant chaque diabolo.
2.2 Réincarnation et désincarnation
Si les objets en porcelaine et en céramique conservent généralement leur forme originale lors de leurs premières apparitions sur scène, le temps d’usage entre leur assemblage et leur casse permet à Julian Vogel de proposer surtout un jonglage réincarné ou désincarné (Roussial) en se décentrant volontairement21. En effet, il mobilise d’un côté un ensemble de mouvements qu’il a appris à maîtriser à l’aide de diabolos initialement faits pour jongler, ainsi que d’autres mouvements incorporés en utilisant des objets non codifiés désormais inscrits dans la culture du jonglage — à l’instar des tubes de Jörg Müller22. De l’autre, ses gestes peuvent se départir des codes qui donnent à percevoir explicitement du jonglage, ce qui désincarne ce dernier. Un tel mode de présentation a à voir avec la distanciation brechtienne, étant donné que le jongleur peut « enlever [à l’acte de jongler] tout ce qu’il a d’évident, de connu, de patent, et faire naître à son endroit étonnement et curiosité » (Brecht 294).
La présence de l’interprète peut d’emblée être atténuée par une mise en retrait physique vis-à-vis de ses diabolos, notamment grâce aux dispositifs et autres agrès avec lesquels ils sont mis en jeu. Cela étant dit, un contact tangible demeure entre l’interprète et l’objet qui « ne vient à la vie que dans les conditions strictes [que la matière qui le compose] détermine dans le cadre d’une performance avant tout construite par la main humaine » (voir Merabet et al. par. 35 ; Stall). Les objets assemblés peuvent, par exemple, rouler par terre en étant en partie poussés par Julian Vogel à l’aide d’une immense baguette dont la taille est comparable à celle d’un bâton de berger (#2, voir fig. 4). Dans la variation #5, le diaboliste se fait marionnettiste en tenant des ficelles à distance, presque en hors-champ et en partie dissimulé dans la pénombre ; ce faisant il impulse par intermittence un élan similaire qui permet à ses diabolos d’évoluer au sol (voir fig. 5). Dans la variation #6, la ficelle de diabolo a ses extrémités liées entre elles, comme on peut le constater dans la pratique du « loop string » chez certain·e·s diabolistes, et est suspendue avec un assemblage qui rend possible l’accélération de la vitesse de l’objet de jonglage grâce à un moteur (voir fig. 6). Ainsi l’interprète n’a plus besoin d’intervenir en permanence sur le jonglage qui a lieu, tandis que les potentielles prises et la maîtrise de ses objets sont plus ou moins décelables. Ce faisant, ce sont les objets seuls que l’on peut souvent voir, tandis que la présence de l’interprète s’efface du champ où s’exerce notre attention.
Le jongleur peut aussi disparaître, notamment en intervenant avant ou après la mise en jeu de ses éléments. La giration des diabolos suit alors son cours de façon autonome : il est par exemple accroché à une ficelle plus ou moins tendue qui lui permet de maintenir son équilibre lorsqu’il poursuit sa course sur un tapis roulant électrique (#10). Une giration avec une vitesse plus modérée a également lieu grâce à un moteur électrique (#9) auquel le diabolo est accroché pour tourner seul, fixé contre une paroi (voir fig. 7). Mais les objets peuvent aussi conserver une vitesse de giration comparable à celle que lui donnerait le diaboliste en restant stable — au point mort, c’est-à-dire sans effectuer de balancement — et être pris dans un mouvement d’ensemble où d’autres forces sont exercées sur eux par un dispositif ou des membres du public. On pense par exemple aux lents pivotements des barres d’armature reliées entre elles et suspendues à l’aide de ficelles pour constituer un mobile dans la variation #6 : il s’agit là d’un dispositif qui reste en partie autonome, après l’assemblage de la structure et son élévation au-dessus du public par Julian Vogel (voir fig. 6). De plus, on notera que les diabolos peuvent rester inertes en étant simplement entreposés au sol pour endosser le rôle d’éléments scénographiques : ces objets seuls ou assemblés se trouvent souvent en bord de scène (#1, #6) et bénéficient déjà d’une certaine manière du statut d’objet d’art.
Morcelées à l’issue de leur casse, la céramique et la porcelaine sont disposées de différentes manières. Elles sont notamment immortalisées au sol dans une photographie qui devient un nouvel insert en tant qu’affiche à part dans le Catalogue of Objects (voir fig. 8). On voit également ce genre de morceau exposé lorsqu’il est suspendu à l’aide de fils de nylon. Julian Vogel recourt d’une part à la méthode japonaise du kintsugi pour recoller les débris d’une coupole cassée avec de la laque saupoudrée de poudre d’or destinée à mettre en valeur ses fêlures (#7, voir fig. 9). Ces morceaux sont, d’autre part, accrochés par centaines pour constituer une installation prenant la forme d’un carillon (#8) ou encore les textures d’une balle et d’une toile qui sont manipulées dans la variation #4 (voir fig. 10–12). On peut aussi les retrouver dans un rideau (#18) qui permet, tel un passage, de faire transition entre plusieurs espaces de représentation des variations. Enfin, des débris servent d’apparat, de masque ou de seconde peau pour Julian Vogel et sa partenaire (#4), en particulier lorsqu’ils sont tenus entre eux en équilibre, après avoir été déposés délicatement sur leurs corps (voir fig. 13).
Ainsi la céramique et la porcelaine sont-elles explorées en tant que matériaux mis en jeu « au-delà » (Merabet et. al. par. 18–21) de la forme codifiée du diabolo, c’est-à-dire dans le but de mettre en avant une fonction qui aurait pu être la leur avant qu’ils ne constituent un diabolo, ou après que leur organisation matérielle soit mise en pièce.
2.3 Qualités
Les qualités et dynamiques des éléments mobilisés par Julian Vogel sont aussi explorées pour elles-mêmes, autrement dit « en-deçà » (Merabet et. al.) de toute mise en forme qui viendrait en unifier ou en stabiliser leurs effets. À partir de cette autre modalité d’émancipation de la matière, nous retenons deux principales conséquences esthétiques.
Alors que le diabolo demeure, par sa forme, réductible à un objet unique et identifiable, la fragilité des matériaux qui le composent apporte une autre attention à son égard. Celle-ci se traduit par un soin particulier perceptible à la fois dans les mouvements effectués par l’interprète qui se font plus précautionneux et dans le comportement variable des membres du public, qui redoutent souvent le moment de chute qui impliquerait la casse de l’objet. Intervient alors le risque de casse ; d’où l’expression « breakability » que Julian Vogel a initialement forgée à partir du terme anglais « break » en jouant volontairement avec sa plurivocité23. Celle-ci s’avère très pertinente pour comprendre les modalités selon lesquelles une rupture peut avoir lieu. Ainsi plusieurs modes de passage par la matière témoignent non plus seulement d’une démarche de codification, mais aussi d’une mise en drame de la capacité de résistance et de persistance de la matière. À cela s’ajoute le risque de rompre une ligne esthétique que suivent ces objets artisanaux et manufacturés : leurs qualités plastiques, compte tenu de la diversité des couleurs et des textures des coupoles, leur permettent de conserver une valeur précieuse assez proche d’objets d’art et de décoration.
Tandis que planent au-dessus du plateau l’éventualité et l’imprévisibilité du risque de rupture voire de casse, nous constatons d’autre part qu’une dé-hiérarchisation des éléments scéniques s’accompagne d’une dé-focalisation du regard humain qui s’attache à les saisir. D’autres éléments sont mis à profit dans la création scénique de ces variations où Julian Vogel offre à l’investissement imaginaire du public de « nouveaux points d’ancrage de la perception »24. Nous avons vu plus haut des qualités gravitaire et kinesthésique, mais d’autres peuvent être mises en avant, comme celles vibratoire et ondulatoire, respectivement soulignées par le son et la lumière. On perçoit d’un côté les manifestations de cette dernière dès la variation #3 selon le positionnement des projecteurs avec lesquels joue Julian Vogel en tant que régisseur : leurs faisceaux donnent à voir les différentes textures des diabolos inversés en sculptant leur surface lorsqu’ils les traversent au fil de leurs oscillations. De l’autre, les diabolos s’avèrent bruyants au contact de matériaux qui les font devenir des instruments sonores. Dans les premières versions de la variation #9, plusieurs paires de balles en céramique suspendues par des ficelles frappaient chacune un diabolo tournant sur lui-même verticalement : la réaction en chaîne produite par leur rencontre ressemblait à celle de l’effet domino et elle s’accompagnait d’une nuisance sonore générée par des collisions irrégulières. Dans la variation #10, le dispositif qui expose la course d’un diabolo sur un tapis roulant est doté d’une caisse de résonance qui amplifie la sonorité de son roulement. Enfin, à ces deux qualités que nous venons d’exposer s’ajoute celle soluble du diabolo, dont les coupoles en céramique peuvent se dissoudre au contact d’une substance liquide dans une installation vidéo (#19, voir fig. 14); ce phénomène diffusé sur un écran de téléviseur s’accompagne d’un arrangement sonore étonnant de l’Entrée des gladiateurs (1897), marche militaire encore aujourd’hui très prégnante dans l’imaginaire du cirque, qui à la fois renforce l’étrangeté de l’action et fait encore en partie référence à ce dernier. Ainsi les diabolos de CHINA SERIES existent-ils autrement grâce à l’orchestration de multiples médiums visuels et sonores qui permettent l’ouverture d’une brèche dans l’ordre des choses.
L’étude des différents agrès et dispositifs de Julian Vogel nous donne un aperçu de ses méthodes de création qui empruntent autant aux arts plastiques qu’aux arts vivants. Au-delà de la fabrication des nouveaux équipements qu’implique une telle démarche, nous allons voir dans la suite de cet article que de nouveaux types de relations entre humains et non humains émergent lorsque le temps et l’espace sont à l’origine de turbulences qui enveloppent, traversent et affectent les corps de l’interprète et des membres du public.
3. Jeux d’échelle spatiotemporelle de scènes-laboratoires : le partage de l’agentivité
Plusieurs modes de représentation et dispositifs d’installation sont mis en œuvre dans les variations de la collection CHINA SERIES pour faire bifurquer le cours des choses. Ces œuvres peuvent être présentées pendant quelques jours voire plusieurs semaines, à l’instar de certaines installations permanentes destinées à être proposées tout au long du temps d’accueil des variations retenues. D’autres formes de performances dites « installatives » ont l’intérêt de pouvoir se succéder dans différents lieux. Julian Vogel tient compte de la diversité des personnes présentes dans l’espace scénique, ainsi que de leurs intérêts, interactions et contradictions afin de faire de ces expériences spatiotemporelles des scènes-laboratoires.
3.1 Espace
Julian Vogel remet en question des actes d’occupation et de consommation en se jouant des codes et des cadres qui ont été jusqu’à maintenant posés d’un point de vue spatial dans le modèle du théâtre dramatique, ou même dans celui du cirque dit « classique ». Il ne s’agit plus de séparer le public de la scène en imposant une distance, mais de la réduire, voire la supprimer, afin que des espaces plus ou moins intimes puissent émerger. La proximité physique que certaines dispositions scéniques impliquent permet à Julian Vogel de guider et de mettre ainsi en jeu, ou du moins d’anticiper les déplacements du public, qui est plutôt considéré comme visiteur que comme spectateur.
Certaines variations nécessitent l’intervention du public à des endroits spécifiques pour avoir lieu. Par exemple, un·e visiteur·se doit actionner la chute des diabolos pour les voir se briser en mettant un jeton dans la crash machine dans les premières versions de la variation #14 ; ce dispositif repose désormais sur un ensemble de ficelles auxquelles sont liés les diabolos à faire tomber en tirant manuellement sur ces dernières. L’absence de Julian Vogel laisse parfois aussi la liberté au public d’évoluer dans l’espace scénique et de s’arrêter sur des détails qu’un enchaînement d’actions hétéroclites ne laisserait pas aisément l’occasion de saisir. L’artiste peut toutefois être amené à négocier avec les visiteur·se·s leur relation à l’espace lorsqu’il les accompagne. Dans ce cas, sa présence sur scène est nécessaire pour que l’agentivité de chacun·e puisse être « partagée »25 et « distribuée » (Kramer 91) avec des matériaux. Il s’agit d’une situation dans laquelle il veille à « prendre en charge »26 la répartition de cette agentivité en adoptant de nouvelles postures. Dans la variation #6, il est déjà arrivé, par exemple, que des membres du public prennent la décision de le rejoindre au centre de la piste — constituée de fait par son placement autour du mobile —, afin de saisir et d’animer les loop strings du dispositif au sein duquel des diabolos nécessiteraient d’être à nouveau accélérés manuellement. La mainmise que le public a sur la progression de ce genre de variation reste néanmoins incertaine, car Julian Vogel n’apporte jamais d’instruction de vive voix et qu’il ne se donne que la possibilité de jouer avec des adresses de regard en la direction d’une personne, ou en venant la chercher directement.
Ainsi, ces situations relèvent d’une dramaturgie où l’incertitude et l’aléa peuvent constamment créer des situations de composition nouvelles, d’où l’intérêt pour Julian Vogel de travailler chacune de ses variations comme des scènes-laboratoires à l’occasion de leur représentation. Elles constituent autant de manières pour le public de participer à l’examen de ces milieux de vie, que des occasions de retracer lui-même le cycle des objets ou d’interpréter des évènements faits de négociations et d’imprévus.
3.2 Temps
La reconfiguration de l’expérience temporelle contribue également au partage de l’agentivité par Julian Vogel avec le public qui peut se réapproprier la perception qu’il a du temps. Par les cheminements propres à leur expérience, de nouvelles formes et connexions émergent lors de temps propres à chacun·e entre des choses et des phénomènes habituellement distincts. Afin d’accueillir ces connexions émotionnelles, le temps dans CHINA SERIES n’est pas directionnel ou linéaire, mais relève plutôt de motifs renvoyant à des « figures non prométhéennes d’inscription dans le temps » que propose Lambert Barthélémy (par. 10). À travers ces opérateurs, les variations de Julian Vogel « s’inscri[ven]t en faux par rapport à la forme dominante d’appréhension du temps dans le monde actuel […] largement dématérialisée et constituée par un régime d’urgence permanente » (Barthélémy).
La figure de la spirale est actualisée dans la manière dont les corps et les objets occupent l’espace-temps. Parmi les fils dramaturgiques qui se dévident pour questionner notre perception, Julian Vogel met en avant l’idée de perpetuum mobile. Les diabolos inversés dans la variation #3 poursuivent, par exemple, de façon plus ou moins synchronisée, des mouvements de balancier qui produisent des effets hypnotiques, tout en créant une structure répétitive où le rythme est souligné d’un point de vue visuel et auditif. Que ce soit à l’écoute des battements du métronome ou des pulsations marquées dans la musique, le public et Julian Vogel sont amenés, en suivant ce dernier entre les oscillations de ses pendules, à être pris dans des boucles de mouvements. On pourrait citer d’autres occasions données à chacun·e de contempler ce genre de trajectoires plus ou moins circulaires (#1, #8), ou au contraire de s’en éloigner et de tourner autour (#2, #6). Par ailleurs, le recyclage d’un certain nombre de motifs dramaturgiques et d’éléments scénographiques rend d’autant plus important l’impact d’une rupture qu’elle peut avoir des conséquences sur le déroulement d’une autre variation. Une irruption sonore intervient, par exemple, dès le début de la variation #1, puis se manifeste par intermittence dans la variation #2 accompagnée d’une lumière dont les couleurs nuancées au fil de ses apparitions viennent éclairer les diabolos. Ces associations synesthésiques et digressions sérieuses ou fantaisistes n’empêchent pas Julian Vogel de mettre en œuvre ses principes de construction ; au contraire, le parcours des variations permet aux visiteur·se·s de déceler des interconnexions entre certaines d’entre elles. On pense par exemple au parallèle que le public peut faire entre son comportement comparable à un troupeau dans la variation #1 (voir fig. 15), et celui des moutons guidés par Julian Vogel dans la vidéo Sheep (2018), présentée à l’aide d’une télévision disposée à l’entrée de la variation #2 (voir fig. 16).
Après la spirale, la décélération27, seconde figure temporelle, invite à désinvestir « les impératifs d’efficacité et de résolution qui en principe régissent et instrumentalisent la temporalité dramatique » (Sermon, « Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 10). Cet opérateur permet au jongleur de configurer des expériences où le tempo de jeu est par moments ralenti, à l’instar du temps qui défile entre la prise d’élan et le temps d’arrêt qui marquent les oscillations des diabolos inversés de la variation #3 : ce jeu avec le temps de séjour (« dwell-time ») étiré du jonglage pendulaire génère en l’occurrence des pauses (break) contemplatives durant lesquelles de lentes scènes peuvent s’y déployer, et où parfois des actions corporelles peuvent combler le vide entre ces intervalles temporels. Croiser cette question de la lenteur avec celle de la vivacité de l’esprit du public nous semble pertinent en raison du fait que son attention, flexible et variable, peut occuper ces plages de temps. La fragilité des objets constitue un contrepoint qui sous-tend cette économie de l’attention, et constitue à ce titre une vertu écologique cardinale. Étant donné que ces objets peuvent être dotés d’une existence sociale, voire biographique (Brecht 435), qui s’avère généralement plus ou moins explicite28, leur caractère périssable est d’autant plus mis en valeur qu’ils peuvent rappeler, comme un traumatisme29, la rupture de certains cycles propres aux humains et non humains. Prendre un objet de jonglage comme témoin d’une pratique a, par ailleurs, d’autant plus de sens pour le public qu’il aura, d’une certaine manière, conscience du temps qui a pu potentiellement s’écouler en raison de la pratique assidue que le jonglage laisse supposer. D’où l’intérêt des séries de photographies du Catalogue of Objects : elles sont l’occasion de penser, hors du temps des variations, aux diabolos figés à un état précis avant qu’ils ne soient éventuellement modifiés. D’autres situations nous font aussi remonter à des souvenirs plus ou moins lointains, en fonction de notre familiarité avec les objets ordinaires mobilisés, voire avec d’autres œuvres mettant en jeu des diabolos. Ce fut particulièrement le cas pour nous avec certains travaux de la compagnie Tr’espace, qui non seulement ont marqué Julian Vogel, mais proposaient déjà des situations amorçant le décentrement d’un interprète diaboliste. Les automates des variations #9 et #10 nous rappelaient ceux grâce auxquels Roman Müller pouvait contempler dans ArbeiT (2012) ses diabolos tourner seuls dans une ficelle avec des baguettes elles aussi animées (voir fig. 17).
4. Conclusion
Cette étude des variations de la collection CHINA SERIES nous permet de mieux mesurer l’ampleur des territoires artistiques concernés par les stratégies d’écriture écocentrées de Julian Vogel. Si le jonglage et parfois aussi d’autres savoir-faire circassiens30 font pleinement partie du processus de création de ses variations, la perspective écothéâtrale que nous avons empruntée a le double intérêt de considérer plus largement la pluralité de pratiques et méthodes empruntées aux arts plastiques et scéniques et d’apporter à notre propos des outils d’analyse que nous considérons porteurs pour les études circassiennes. Le lexique éco-esthétique et deux des trois nouages que Julie Sermon suggère afin de traiter des relations (à double sens) entre arts vivants et enjeux écologiques ont structuré notre analyse, tout en enrichissant notre propos d’un vocable à même d’appréhender la fabrique des équipements et attachements à partir de différents dispositifs et motifs.
D’une part, le nouage pragmatique nous a incités à retenir des étapes significatives du cycle de vie des matériaux qui composent les éléments mis en jeu par Julian Vogel. Comme les manières d’être de ces matériaux constituent l’objet et la fin de chaque action artistique, la poétique de la fragilité défendue dans chaque variation repose avant tout sur des propriétés physiques qui remettent en cause les pratiques de l’artiste, à commencer par celle du jonglage avec le diabolo. Cependant l’écriture de chaque variation repose plus largement sur l’orchestration d’une variété de médiums susceptibles de mettre en valeur les qualités des matériaux explorées pour elles-mêmes, ainsi que les conséquences esthétiques qu’elles impliquent.
D’autre part, Julian Vogel appréhende un ensemble de modalités de présence depuis la place qu’il peut occuper aux côtés des éléments qu’il convoque en incluant notamment le public dans la distribution de l’agentivité sur scène. C’est justement ce qu’invite à penser Julie Sermon à travers un autre nouage, « éco-poétique », en abordant une dramaturgie élargie aux non humains. Par des actes d’occupation, de consommation et de cheminement, nous avons constaté l’évolution de l’agentivité partagée entre Julian Vogel et le public en fonction des expériences du temps et de l’espace que chacun·e peut se réapproprier. L’examen des milieux que chaque variation rend possible en font des scènes-laboratoires où le public peut retracer lui-même le cycle d’un objet ou interpréter un évènement fait de négociations et d’imprévus.
Il nous semble important de conclure cette étude en apportant quelques remarques concernant l’expression « jonglages anthropocentriques », initialement proposée pour nommer une tendance caractérisant certaines formes artistiques actuelles. En raison du contact tangible nécessaire entre le jongleur et ses éléments, non seulement ce dernier a encore prise sur ce qu’il souhaite faire agir et, en retour, le faire agir, mais il doit encore composer avec l’imprévisibilité d’un accident qui intervient souvent de manière manifeste dans une représentation avec du jonglage. Ce point valide l’hypothèse d’Emma Merabet puisque nous avons bel et bien affaire depuis le jonglage à une réhabilitation de la matérialité du monde plutôt que son désencombrement. Plus particulièrement, on peut considérer que le jonglage, en tant que pratique circassienne, permet aux « corps humains [de] s’intègre[r] au même titre que les choses […] et les lignes énergétiques dans une seule et même réalité ». En rappelant cette conclusion de Hans-Thies Lehmann (127) au sujet de ce à quoi aboutiraient des scènes post-anthropocentriques, nous tenons à souligner l’importance du rôle que peut jouer le jonglage parmi d’autres arts du cirque dans une perspective post-anthropocentrique, et plus largement dans le paysage des arts vivants. Parce que Julian Vogel oriente notre attention sur ce qui peut rendre le jonglage inefficace et inopérant, voire non identifiable, il recourt en partie à des « contraintes venues du cirque, empêchant l’expression artistique […], [mais qui] peuvent [constituer] des forces expressives [qui lui sont] encore propres » (Diaz Verbèke 172). Recourir à la marque du pluriel pour parler des jonglages revient finalement à souligner d’un côté la variété des rapports qu’un artiste comme Julian Vogel entretient avec le monde, et de l’autre la complémentarité du jonglage explorée avec d’autres pratiques et méthodes artistiques. Ces rapports encouragent d’ailleurs à mettre à l’épreuve le qualificatif « post-anthropocentrique » depuis d’autres agrès pour caractériser les tendances qui dessinent le paysage du cirque actuel.
Notes
- Julian Vogel s’est spécialisé dans la pratique du diabolo à l’école de cirque de Tilburg (Fontys Academy of Fine and Performing Arts) dont il est sorti diplômé en 2019. Il a notamment co-fondé en 2017 la compagnie Klub Girko au sein de laquelle il a commencé à développer la collection CHINA SERIES, projet qu’il poursuit aujourd’hui indépendamment en tant qu’auteur et interprète, mais aussi responsable de la régie technique, de la construction, des compositions sonores, ou encore de la production. ⮭
- Nous empruntons ce terme à Julian Vogel, qui l’employait aussi en anglais (breakability) pendant les premières années de création de sa collection. ⮭
- Nous avons initié cette démarche en formulant de premières questions spécifiques au jonglage depuis l’hypothèse « anthropocénique » à l’issue d’interventions dans le cadre de l’école thématique « À l’école de l’Anthropocène » dès 2017 à l’École normale supérieure de Lyon. Plus précisément, ces questions ont émergé en parallèle de la réalisation d’un mémoire de recherche (sous la direction de Julie Sermon) dédié à la notion d’individu-paysage proposée par le Collectif Petit Travers, compagnie de jongleur·se·s qui mobilise un imaginaire écologique pour appréhender leurs pratiques. À partir de 2019, l’École urbaine de Lyon nous a invité à penser d’une part le cirque comme modèle pour l’anthropocène et d’autre part les contours d’un panorama de créations circassiennes en correspondance avec les problématiques soulevées nous a permis d’appréhender ces questions plus largement dans le champ du cirque depuis les moyens mis en œuvre par quelques compagnies progressivement étudiées et/ou approchées, telle que la compagnie Lunatic, en intégrant son groupe de recherche « La vie des lignes ». Enfin, ces premières sélections d’œuvres initialement appréhendées dans un article prônant une approche matérielle pour étudier des écritures du jonglage (voir Roussial) se sont progressivement affinées et étendues à de nombreux autres ensembles de propositions circassiennes. Cette extension de notre recherche autour du rapport ambigu qu’entretient le cirque avec l’écologie a été rendue possible par une veille de l’actualité artistique et culturelle, ainsi que notre participation aux activités de l’axe « Arts et humanités environnementales » du laboratoire Passages Arts & Littératures (XX-XXI). ⮭
- Nous tenons à remercier Julie Sermon et Emma Merabet pour leurs précieux retours lors de la rédaction de cet article. ⮭
- Les nouveaux matérialismes désignent une diversité d’écoles réfléchissant aux reconfigurations de la matière (son expressivité, son dynamisme, son agentivité) qu’implique la contestation de toute hiérarchie ontologique classique (en référence à la philosophie matérialiste). ⮭
- C’est, par exemple, ce que propose le jongleur Sakari Männistö (104) en se référant au modèle d’ontologie décentrée que défend l’Object-Oriented Ontology (voir Morton ainsi que Harman). Selon cette approche, nulle conscience humaine ne peut prétendre avoir accès aux objets, pas plus que ces derniers ne peuvent se connaître entre eux. ⮭
- Des discussions et des entretiens à la fois formels et informels avec des praticien·ne·s ont nourri depuis plusieurs années ces observations et d’autres précisions concernant la pratique et la fabrication des objets de jonglage qui figurent dans les paragraphes qui suivent. Nous tenons à les remercier du temps qu’il·elle·s nous ont accordé. ⮭
- Jean-Michel Guy développe une définition éclairante des jonglages dans le préambule du programme de la première édition du festival Rencontre des Jonglages, qui s’est tenue les 19 et 20 avril 2008. Ce document est disponible au centre de ressources du Centre national des arts du cirque (Cnac) de Châlons-en-Champagne. Pour plus de précisions sur le contexte dans lequel ce terme est apparu, voir le site Internet de la Maison des Jonglages, maisondesjonglages.fr/fr/content/historique-0. ⮭
- Cette expression n’est pas à confondre avec le « théâtre d’objet », une approche renouvelée de l’objet dont l’émergence se situe à partir des années 1970 (voir Mattéoli). Nous pourrions d’ailleurs en partie croiser ce genre théâtral avec la dénomination plus tardive de « cirque d’objets », notamment employée dans les années 2000 par Jean Vinet (ancien directeur de La Brèche, alors centre des arts du cirque de Basse-Normandie) pour décrire les travaux du jongleur Jani Nuutinen. ⮭
- Nous recommandons vivement de poursuivre la lecture de cet article en s’appuyant sur les pages du site Internet dédié à la collection CHINA SERIES, chacune étant consacrée à une variation et comportant généralement plusieurs iconographies et vidéos (julianvogel.ch/). Nous remercions vivement Julian Vogel de nous avoir transmis plusieurs versions de son dossier de production ainsi qu’un appendice revenant sur la vingtaine de variations qui composent sa collection en 2022. ⮭
- L’ensemble de ces remarques concernant le statut inachevé de chacune des variations sont d’autant plus fondamentales pour comprendre le caractère modulaire de la collection de Julian Vogel qu’elles supposent de tenir compte dans la lecture du présent article des possibles modifications de chaque œuvre qui compose CHINA SERIES à ce jour. Étant donné que nos commentaires et analyses concernent des représentations remontant jusqu’à 2019, certaines variations ne sont pas exemptes de changements majeurs aujourd’hui, bien qu’elles conservent généralement pour titre leur numéro de série (#1, #2, #3, etc.). ⮭
- La notion de dispositif est à distinguer de celle d’agrès, étant donné que les dispositifs de Julian Vogel contribuent à la mise en jeu de ces derniers qui sont précisément ciblés, ou du moins identifiés. Il peut paraître étonnant que ce jongleur désigne avec le terme français « agrès » son corps, un diabolo, ou encore ses baguettes ; on note cependant qu’il utilise le même terme anglophone « apparatus » pour les désigner. ⮭
- Le diabolo est rarement présent dans les œuvres programmées par le réseau de diffusion institutionnel où évolue ce que l’on nomme de nos jours le cirque contemporain (en France, on pense par exemple aux pôles nationaux de cirque, scènes conventionnées, scènes nationales, etc.). Quelques œuvres font toutefois exception comme celles de la compagnie Tr’espace de Roman Müller pendant les années 2000. Ce dernier accompagne la production et le développement de CHINA SERIES depuis ses débuts, et parfois même assiste Julian Vogel dans la création de certaines variations. ⮭
- Pour un éclairage des principaux enjeux et problématiques que pose la théorie de l’écoconception, voir Brechet, « Éco-conception et matériaux ». ⮭
- Nous avons tenu compte de la grille mise en œuvre dans le cadre du chantier « Cycle de vie des matériaux du spectacle vivant » de la chaire ICiMa pour penser en termes systémiques l’écoconception des objets circassiens et marionnettiques (voir notamment Postel). ⮭
- Ces démarches sont, en partie, similaires à celles de compagnies que Jean-Luc Mattéoli rattache au théâtre d’objet (69–72). ⮭
- Le mot « upcycling », initialement proposé par Reiner Pilz (architecte d’intérieur et ancien ingénieur), fut repris par l’architecte et designer William McDonough et le chimiste allemand Michael Braungart. ⮭
- Julian Vogel a acquis ce savoir-faire dans le cadre d’un atelier que proposait son école de cirque et prévoyait, dès 2019, d’approfondir ces connaissances techniques dans le cadre de résidences de plusieurs mois au centre européen de l’art de la céramique Capriolus de Bois-le-Duc. Des temps de travail en résidence dans ce cadre spécifique ont été rapportés par Filip Jacobson dans un portrait documentaire réalisé en 2022, About Julian Vogel, produit par le Circus Dance Festival de Cologne. ⮭
- Cette expression figurait dans une phrase nominale inscrite au sol du hall du centre culturel Jean-Houdremont de La Courneuve, où Julian Vogel a été accueilli dans le cadre d’une résidence à la Maison des Jonglages fin 2019. Elle désignait par une flèche un diabolo inversé en céramique qu’il avait suspendu par un fil et laissé à disposition des passant·e·s. ⮭
- Nous empruntons cette expression au jongleur Guy Waerenburgh, dont la démarche esthétique conduite lors de sa dernière création Der Lauf der Dinge (2020) pourrait être commentée en parallèle de celle de Julian Vogel. Guy Waerenburgh fait aussi place à l'imprévisible dans « le cours des choses », expression qu’il traduit en allemand pour titrer sa pièce bi-frontale et qui fait d’ailleurs référence au film expérimental ayant le même titre, réalisé en 1987 par Peter Fischli et David Weiss, deux artistes souvent cités pour commenter aussi bien Der Lauf que CHINA SERIES. ⮭
- On notera comme exceptions les variations #1 et #15 dont le jonglage incarné a déjà fait l’objet d’une analyse détaillée dans un précédent article (Roussial par. 4–6) ⮭
- Une réflexion dédiée au jonglage réincarné avait notamment pour objet d’étude le jonglage pendulaire mis en œuvre dans sa pièce mobile (1994), voir Roussial par. 7–8. ⮭
- Voir l’ensemble des acceptions du verbe « break » recensées par le Cambridge Dictionary, dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/break. ⮭
- Julie Sermon (« Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 8) emprunte cette expression à la marionnettiste et interprète Agnès Oudot et précise, par ailleurs, qu’elle pourrait être plus largement opérante en ne visant pas seulement des formes marionnettiques. ⮭
- Au regard des limites que présentent les pensées plus ou moins éclairantes du corpus des nouveaux matérialismes, nous proposons d’employer cette expression plutôt que de parler d’« agentivité interne ». Voir en particulier les fragilités théoriques dudit corpus que relèvent Emma Merabet et al. (par. 35–36 et 40). Voir également les critiques éclairantes que les artistes Francesca Hyde, Josef Stiller (co-fondateur de la compagnie Klub Girko) et Mardulier en Deprez ont pu apporter à Vincent Focquet en notes de son article « Towards a Humble Circus ». ⮭
- Julian Vogel employait cette expression dans un entretien que nous avons conduit aveclui le 15 octobre 2019. ⮭
- Julie Sermon (« Les imaginaires écologiques de la scène actuelle » 10) emprunte ce terme à Carl Lavery (« Theatre and Time Ecology »). ⮭
- Mettre explicitement en valeur l’existence biographique et sociale d’un objet de jonglage est un parti pris esthétique que l’on peut constater chez certain·e·s jongleur·euse·s : dans Vestiges (2020), Johan Swartvagher convoque sur scène des massues abîmées que « sa sœur lui [auraient] offertes » il y a plus de vingt ans, pour reprendre ses propres mots sur scène. Ces dernières étaient déjà présentes dans La Réconciliation (2018) et sont remplacées en 2022 par les hula-hoops de Florence Huet qui, elle aussi dans le cadre de cette reprise de rôle, mobilise des objets codifiés qui ont compté pour elle pendant de nombreuses années. ⮭
- Même si Julian Vogel a suivi une formation universitaire en psychologie, il n’emploie pas la notion de résilience pour des œuvres qu’il réalise à partir du kintsugi. Cependant, on notera que ce concept est souvent rattaché à cet art en tant que métaphore et symbole. ⮭
- Par exemple, Julian Vogel entame en 2022 des résidences de recherche dédiées à la variation #17, à partir de la pratique suspensive que permet le harnais, équipement souvent mobilisé avec de nombreux agrès aériens. Accroché en contrepoids à un diabolo inversé, il substitue son corps à la brique de sa variation #12 en partageant désormais le même point autour duquel flotter et en lequel possiblement entrer en collision. ⮭
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