Introduction

La pandémie du coronavirus a fortement perturbé et remué les écosystèmes à l’échelle planétaire. Cet article va se pencher plus particulièrement sur celui du cirque québécois et son organisation générale dans le but de provoquer une sorte de réinitialisation du milieu1. Après une interruption abrupte, nous avons assisté au Québec à un recentrement de la pratique circassienne et à une autoréflexion des artistes et du milieu du cirque. En même temps, Cirque Hors Piste (CHP), un organisme de cirque social montréalais, a pris une ampleur insoupçonnée à l’échelle nationale canadienne grâce à ses stratégies innovantes et à son leadership pendant la crise.

Avant la crise déjà, CHP s’était imposé à Montréal, et plus largement au Québec et au Canada. Grâce au rayonnement associé à son rassemblement annuel Cirkaskina et à sa capacité à intégrer des circassien·ne·s de tous horizons — et cela dans un milieu montréalais qui avait largement préconisé une vision professionnelle et par moments assez élitiste de la pratique du cirque — CHP offrait donc une vision plus inclusive et axée sur la communauté, aux antipodes d’un modèle valorisant la performance sportive virtuose.

Bien que l’organisme ait lui aussi souffert de la crise de la COVID-19, il semble néanmoins avoir su transformer des aspects de cet épisode malheureux en opportunités, ouvrant la voie à des perspectives stimulantes. Au Canada, CHP se place depuis un certain nombre d’années au centre d’une communauté de pratique désormais constituée en réseau, tout en restant fortement connectée à ses partenaires et réseaux habituels. L’église qu’occupait l’organisme au moment de notre recherche, située dans le quartier populaire du Centre-Sud montréalais, lieu de concentration d’une jeunesse précaire à Montréal, a contribué vivement au succès de ses services.

L’équipe soudée et fidèle de CHP, ainsi que ses collaborations multiples et diverses avec les organismes à visée sociale, les institutions artistiques et le milieu de la recherche, ont permis à l’organisme de déployer sa capacité d’action au fil des années et, ce qui est particulièrement notable, au travers d’une période difficile. C’est dans ce contexte que la pandémie s’est avérée être, pour l’organisme, une étape charnière et particulièrement positive. À la publication de cet article, CHP s’est installé à La Caserne 18–30 — haut lieu d’entraînement libre professionnel et acteur majeur de cohésion du milieu circassien québécois — avec comme mission, en plus de son mandat d’action sociale, de redonner vie à une communauté de professionnel·le·s dispersé·e·s.

Ainsi, le temps de la pandémie a été, paradoxalement, celui de l’envol de l’organisme. Le cirque social s’est manifesté malgré les interdictions sanitaires de se rassembler, malgré la distanciation physique imposée. Au travers de la présentation des actions entreprises par CHP entre 2020 et 2022, cet article permet de documenter et d’analyser un tournant organisationnel majeur dans le secteur social et artistique dont il existe peu d’exemples du genre. Il ouvre également sur une réflexion sur l’avenir de CHP, mais aussi plus généralement sur la place du cirque social dans notre société.

Mise en contexte : le cirque social, une diversité de pratiques

L’utilisation des arts du cirque en tant qu’outil d’action sociale auprès de communautés vulnérables tend à se développer au Canada, comme dans le reste du monde, à partir du milieu des années 1990. Pensons, par exemple, au programme d’action sociale Cirque du Monde2, au Plus Petit Cirque du Monde en France, ou encore à Phare au Cambodge. Un précurseur historique s’impose tout de même. Katie Lavers et coll. (2016) nous rappellent des origines qui renvoient au début des années 1980 et plus loin encore dans le temps, au Père Jésus Silva, qui a fondé le Circo de los muchachos3 à Ourense au tournant des années 1960 pour approcher le grand nombre de jeunes orphelin·e·s laissé·e·s par la guerre civile espagnole. Ajoutons que les arts vivants à vocation sociale, dont le théâtre, le sport et certaines autres activités exploitées par le cirque, étaient bien présents au Brésil au cours des années 1980 — et que c’est d’ailleurs de là même que Cirque du Monde tirera son inspiration pour développer son modèle qui rayonnera pendant plus de vingt ans et dont l’esprit reste encore aujourd’hui une source d’influence.

Le cirque social propose une approche novatrice d’action sociale faisant appel à la pratique des arts du cirque pour accompagner le développement d’individus avec des besoins psychologiques ou sociaux particuliers (Caravan, 2010). Pour Hugues Hotier, défenseur du cirque pédagogique et auteur, entre autres, de L’imaginaire du cirque (2003), le cirque est singulier, car il est un lieu de prouesses qui, quand elles sont atteintes, aussi modestes qu’elles soient, permettent d’accéder à l’estime de soi et à la reconnaissance des autres. Le cirque est un lieu de potentialités, où on se sent capable. La pratique des arts du cirque à vocation sociale pourrait donc jouer un rôle important dans un processus de construction ou de reconstruction de soi, à un moment où on a du mal à envisager l’avenir.

Dans la démarche du cirque social, l’apprentissage des techniques de cirque par des populations se trouvant souvent en marge de la société ne constitue pas une fin en soi, mais vise à encourager les qualités individuelles et collectives nécessaires au développement personnel — et, tel que le préconise le guide de formation du programme Cirque du Monde, à stimuler l’engagement ou le réengagement communautaire « positif et productif » de ces individus (Lafortune, 2011). Les modes opératoires et les défis du cirque social varient selon les contextes dans lesquels il se déploie, les populations auxquelles il s’adresse et les enjeux psychosociaux qu’elles recèlent. Il n’y a pas de consensus sur une terminologie unique autour du cirque social, non plus sur une méthodologie universelle, et vraisemblablement aucune visée en ce sens. Toutefois, les instructeur·trice·s des différents programmes à travers le monde se connaissent et sont au fait des pratiques et rituels qui sont en circulation. Ainsi, une communauté de pratiques existe bel et bien, et cela en partie grâce à un travail substantiel de développement et de formation en continu porté par le Cirque du Soleil et son programme Cirque du Monde dans les années 2000 particulièrement en Amérique du Sud, ainsi que par le réseau européen Caravan et plus récemment par Cirque Hors Piste au Canada, pour ne citer qu’eux.

L’impact du cirque social est pluriel et reste difficile à préciser — encore plus s’il s’agit de le mesurer — mais le cas de CHP est assez bien documenté dans la mesure où nous pouvons nous appuyer sur des travaux menés en grande proximité (notamment les travaux de Jacinthe Rivard et Jennifer Spiegel) auprès de cet organisme où la culture de la recherche est bien installée et qui pratique un niveau exceptionnel d’autoréflexivité et d’autodocumentation. C’est d’ailleurs CHP qui nous a invité·e·s à suivre de très près ses réunions de travail, assemblées et événements publics et qui a accepté à tout moment de répondre à nos questions, avides d’en tirer matière à discussion en équipe.

Cirque Hors Piste

Organisme à but non lucratif autonome et reconnu depuis 2011, Cirque Hors Piste est le descendant direct du volet montréalais du programme Cirque du Monde dont il porte encore, dans une certaine mesure, la vision et les principes. CHP se définit sur son site Internet comme un organisme « qui offre un espace alternatif et inclusif de création aux jeunes ayant un parcours de vie marginalisé et/ou d’itinérance. » Les ateliers de CHP s’adressent prioritairement aux jeunes adultes marginalisé·e·s en situation de grande précarité matérielle, physique et psychologique, souvent en situation d’itinérance et vivant des enjeux de consommation de drogues et d’alcool.

Une des caractéristiques distinctes de la démarche de CHP est son approche en tandem : un·e instructeur·trice de cirque et un·e intervenant·e social·e guident l’activité ensemble. On évite de dissocier l’intervention sociale de la dimension artistique. Avant tout, c’est un moment structurant où les jeunes adultes peuvent vivre, au travers d’ateliers de cirque, une expérience positive en étant soutenu·e·s par un accompagnement individualisé sécurisant. Ensuite, c’est aussi un espace où ils·elles peuvent éprouver un sentiment d’appartenance à un groupe souvent associé à une sorte de famille (Rivard, 2018).

Les activités de CHP stimulent le développement de compétences qui contribuent au bien-être et à l’émancipation individuelle et sociale des participant·e·s, tout en laissant de la place à leur singularité (Rivard et Vinet, 2018; Spiegel, 2016) et sans chercher à les changer pour les insérer dans la société. Ces jeunes « sont considéré·e·s comme des citoyen·ne·s à part entière, CHP étant fermement convaincu que tout est possible en créant à partir de leur débrouillardise, de leur potentiel et de leurs savoirs expérientiels » (Rivard, 2018). L’approche de l’organisme favorise le développement de compétences qui facilitent la réinsertion sociale des participant·e·s sans pour autant les pousser à renier ce en quoi ils·elles croient, ni à abandonner une certaine forme de marginalité (Spiegel, 2016). Centrales à cette approche, les identités et les formes de socialisation véhiculées par ces jeunes marginaux·ales sont respectées, valorisées, voire stimulées par la pratique du cirque social, et les participant·e·s se trouvent ainsi capables de former des liens d’un type nouveau avec le milieu (Rivard, 2018).

Finalement, CHP permet de transformer des comportements qu’on tend à interpréter, socialement, comme déviants ou marginaux, en caractéristiques porteuses de diversité et en sources vraisemblables de créativité et de potentialités artistiques. La vision du cirque social a d’ailleurs comme ambition de changer les perceptions de la marginalité et créer des liens entre les participant·e·s aux activités de CHP et le reste de la population.

En plus de son statut d’organisme communautaire, CHP est également membre en règle d’En Piste, le regroupement canadien des arts du cirque, et la directrice de l’organisme est d’ailleurs membre du conseil d’administration. L’organisme se trouve ainsi au cœur des discussions concernant le cirque montréalais professionnel et l’ensemble du milieu circassien canadien. Compte tenu de son mandat social et communautaire, CHP n’a longtemps pas été reconnu par le Conseil des Arts du Canada (CAC) comme organisme artistique, une distinction qui lui donnerait droit à un certain nombre de subventions. Mais, après un long acharnement et de nombreuses productions artistiques à l’appui, CHP est enfin reconnu par le CAC depuis début 2022 grâce à un appui financier.

Cet article n’a pas pour objectif d’argumenter en faveur du cirque social, ni d’apporter des preuves des effets bénéfiques de l’approche de CHP sur les participant·e·s à ses programmes, mais plutôt de documenter et d’analyser les effets de la pandémie sur l’organisme, ses pratiques et son développement. Une pandémie qui, en effet, s’est avérée tantôt révélatrice, tantôt vectrice d’accélération de certaines tendances (Perahia et coll., 2023 [à paraître]).

Objet et méthodologie de recherche

Cet article est issu d’une enquête plus large ayant eu lieu entre mars 2020 et novembre 2021 intitulée « COVID-19 : le cirque social à l’époque de la distanciation sociale4 » financée par le programme d’engagement partenarial du Conseil de recherches en sciences humaines et le programme Accélération du Mitacs5.

Nous avons étudié la manière dont l’organisme CHP a mené ses actions depuis le début de la pandémie de la COVID-19, alors que les mesures de distanciation mettaient à l’épreuve l’essence même du cirque social — et ce, en faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation et de beaucoup de créativité. Nous verrons dans ce qui suit les enjeux auxquels a fait face CHP alors que les confinements successifs et les règles de la santé publique venaient compliquer les pratiques habituelles et le travail des équipes en mettant au défi leur philosophie fondatrice. Or, ces contraintes concrètes, ajoutées aux bouleversements et à la recrudescence des besoins sociaux émergents de ces nouvelles règles de vie, ont pourtant été sources d’opportunités en procurant à CHP par les forces déployées de la visibilité et une légitimité de plus grande ampleur, tant dans le domaine social que dans le paysage artistique circassien.

Nous nous sommes intéressé·e·s d’abord à l’organisation et aux stratégies d’adaptation en contexte pandémique. Notre méthode consistait à documenter, analyser et rendre compte des constats, des défis et des pratiques innovantes par le truchement d’une présence active à toutes les activités de l’organisme. Pour ce faire, vingt-deux entrevues semi-directives ont été conduites auprès des membres de l’équipe de direction et de formation de CHP; de quelques membres fidèles du conseil d’administration; de responsables d’organismes partenaires du projet Cirkaskina (le volet national de CHP); de personnes identifiées comme expertes en cirque social; des fondateur·trice·s du programme Cirque du Monde; et d’instructeur·trice·s reconnu·e·s. Nous n’avons pas interviewé de jeunes participant·e·s, généralement mineur·e·s et précarisé·e·s, étant donné que nous disposions déjà de suffisamment d’informations qualitatives bien documentées — hors pandémie — les concernant.

L’équipe de recherche a étudié tous les documents de communication ayant été échangés pendant la période, à l’interne comme à l’externe et sur les réseaux sociaux. Elle a assisté à toutes les réunions de préparation et de suivi, et également analysé les documents de travail. L’organisme CHP s’est rendu disponible pour échanges et validation. Les entrevues ont toutes été transcrites avant d’être analysées. Après avoir défini plusieurs thèmes centraux, dont celui de l’adaptation de CHP aux conditions de la pandémie, les quatre membres de l’équipe de recherche se sont ensuite réparti les entrevues pour les soumettre à une grille d’analyse développée collectivement. Dans un second temps, l’équipe a procédé à l’analyse transversale des données émergeant de la grille d’analyse. Ces analyses ont été mises en perspective lors d’une séance de travail qui a permis d’en débattre avant de rédiger une série d’articles et de chapitres ciblés, dont celui-ci, ainsi qu’un rapport synthétique remis à CHP (Perahia, Rivard et Leroux, 2023) qui a été rendu public à l’été 2023 par l’organisme.

Réagir vite à une pandémie inattendue

Nous le savons tous·tes, la pandémie a tout bouleversé, abruptement, résolument. Plutôt que de rester inactifs·ves, les membres de CHP s’activent dans les heures qui suivent l’annonce de la fermeture des lieux publics et le confinement imposé en mars 2020. La première étape passe par le web et la mise en place d’ateliers en ligne portant soit sur des techniques circassiennes, soit sur des thématiques de soutien pour gérer les défis liés à la situation de crise. La question de la santé mentale devient un enjeu majeur chez les jeunes, encore davantage vulnérabilisé·e·s par les mesures gouvernementales exceptionnelles qui ont mis à mal les stratégies qu’ils·elles avaient réussi à développer pour contourner certaines difficultés, par exemple l’accès à un repas dans certains organismes jeunesse. Nous y reviendrons.

En demeurant près des jeunes et du terrain tout au long de la première année de la pandémie, CHP est en mesure de colliger des informations précieuses qui donnent lieu à la rédaction d’un mémoire sur l’intérêt du cirque social comme réponse aux besoins exacerbés des jeunes, déposé au Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2021) dans le cadre des consultations concernant les effets de la pandémie sur la santé mentale. En mai 2021, CHP est reconnu par le Ministère (MSSS) comme acteur essentiel en itinérance et peut reprendre son travail de proximité (outreach) à l’extérieur, au même titre que les travailleur·euse·s de rue autorisé·e·s à exercer. Rapidement, CHP fait valider par le MSSS et la santé publique un protocole sanitaire, et grâce au vaste espace dont l’organisme dispose (l’église Sainte-Brigide) et à l’engagement volontaire de ses employé·e·s, l’équipe reprend les ateliers en présentiel en respectant plusieurs règles relativement strictes de prévention qu’elle adapte constamment selon les directives plutôt mouvantes de la santé publique.

S’adapter aux mesures sanitaires et aux besoins des participant·e·s

Alors que les lieux de formation, d’entraînement physique et de répétitions sont encore pour la plupart fermés, l’équipe CHP met en place un poste d’accueil pour s’assurer que les personnes qui entrent dans l’église n’ont pas de symptômes, et aussi pour noter leurs coordonnées dans le cas où une apparition de cas de COVID-19 nécessiterait de les joindre rapidement. Le moment d’arrivée des jeunes — habituellement assez variable — est désormais à heure fixe alors que le poste d’accueil est en place, et les portes sont verrouillées. Le port du masque est obligatoire en tout temps et le lavage des mains requis à l’entrée est répété fréquemment. Le nombre de participant·e·s est maintenant restreint, et les jeunes doivent maintenir en tout temps une distance d’au moins deux mètres. Tout le matériel est nettoyé après chaque utilisation, tapis inclus. Face à des règles parfois confuses et changeantes, CHP décide, plutôt que de céder à la peur ou d’opter pour la facilité — par exemple, cesser ses activités — de faire preuve d’initiative et de s’ajuster aux mesures en les intégrant à ses pratiques. Il en résulte que, malgré cette proximité sociale, aucun cas de COVID-19 n’a été recensé pendant cette période, ni chez les jeunes, ni parmi les membres de l’équipe lesquel·le·s, il faut le rappeler, ont accepté de plonger dans cette aventure qui n’était pas sans risque. Ainsi, l’habitude de la prise de risque, propre à l’univers circassien, se poursuit et sous-tend une grande dose d’initiative et de créativité afin de ne pas décevoir les jeunes et poursuivre les activités tout en respectant les mesures de protection. Et c’est ainsi, nous allons le voir, que la crise sanitaire a poussé CHP à dépasser ses mandats initiaux.

Comment faire du cirque social quand le contact physique n’est plus possible, quand se toucher est devenu dangereux? L’effet sera-t-il le même? Avec une ingéniosité sans cesse renouvelée, l’équipe CHP a su ponctuellement faire face à ce défi en priorisant les besoins les plus prégnants — ceux des jeunes. De nouvelles activités créatives telles que la production de masques ou encore le travail sur un personnage dans le développement de mini-scénarios sont pensés pour toucher autrement, par les voies psychologiques, sociales, voire philosophiques. Cela en tentant de faire abstraction du port obligatoire du masque, qui a révélé des situations inattendues, donnant l’impression d’être loin, empêchant la lecture des expressions sur les visages et faisant obstacle à l’entreprise d’initier diverses formes de rapprochement.

Je vois moins bien les faces aussi, les malaises, les inconforts, le bien-être, tout ça c’est plus difficile pour moi à détecter quand j’anime ça et ça crée une distance, en fait. (Membre de l’équipe CHP)

Les mesures sanitaires changeantes auront nécessité une adaptation constante, épuisante et stressante pour les équipes. Il faut aussi reconnaître qu’en poursuivant leur travail en présentiel, ces instructeur·trice·s et intervenant·e·s consentaient, en quelque sorte, au risque de contamination lequel, malgré la rigueur des mesures de distanciation mises en place — qui s’avéraient parfois difficiles à respecter avec certain·e·s jeunes — n’était jamais bien loin.

Puisque les besoins des jeunes marginalisé·e·s se sont accentués pendant la pandémie, CHP se donne comme mission première de briser l’isolement social en créant des moments de plaisir ensemble. En effet, l’isolement d’une personne se manifeste dès lors que personne ne prend de ses nouvelles, qu’il n’y a plus d’échange, personne à qui parler, à qui dire comment on se sent.

On était l’un des seuls organismes qui proposaient des lieux d’appartenance aux jeunes, et ça, on a réalisé rapidement à quel point ça venait répondre à un besoin, le besoin d’aller ailleurs que chez soi, briser l’isolement. (Membre de l’équipe CHP)

Je dirais qu’il y a beaucoup de personnes qui n’auraient pas découvert CHP sans la pandémie. Il y en a beaucoup qui ont découvert CHP parce que soudainement, il n’y a plus rien qui fonctionne autour sauf un organisme qui est encore ouvert. (Membre de l’équipe CHP)

Prendre soin et faire partie

La question de prendre soin, de soi et des autres, occupe une importance fondamentale parmi les axes privilégiés pour les ateliers de CHP. Des moments de discussion s’instaurent sur les questions du mieux-être, autour de stratégies possibles à mettre en place pour soi pour se sentir mieux.

Avant, on avait une façon de prendre soin des autres, et maintenant nous n’y avons plus accès. Comment repenser tout ça? Comment se créer des espaces dans lesquels on peut être bien et où est-ce qu’on peut être moins mal des fois pour certains? C’était vraiment axé là-dessus et sur le support à soi-même, le support mutuel. (Membre de l’équipe CHP)

L’espace CHP offre avant tout une opportunité de se retrouver, se soutenir, rire et apporter de la légèreté.

CHP permet ça, de vivre le temps de quelques heures plutôt que de survivre. Donc, pourquoi? Pour continuer d’avoir un espace où l’identité est valorisée, où les personnes peuvent reconnecter avec leur personne, leurs potentialités. (Membre de l’équipe CHP)

Dans le cadre de ce mandat adapté, CHP devient avant tout un lieu de socialisation, une place pour être ensemble, et la pratique du cirque passe alors au second plan.

Le simple fait qu’on ait un rendez-vous hebdomadaire toutes les semaines, un moment pendant lequel les gens peuvent venir et on voit les gens qui viennent et reviennent. Donc juste le fait que nos ateliers aient lieu, ça répond à la base à ce besoin. (Membre de l’équipe CHP)

Il y a un espace ouvert où t’as le droit d’être pas chez vous et pas dehors, et ça c’est merveilleux. D’être avec d’autres gens dans un groupe, même si le groupe est distancé et masqué, t’es dans un groupe. Le fait de nommer ça, de faire un cercle de partage au début et à la fin, il y a une identité du groupe qui se forme. (Membre de l’équipe CHP)

On s’efforce alors non seulement de créer des liens interpersonnels, mais aussi de réintégrer la notion de « faire partie » qui est souvent absente chez ces jeunes. Le rapport « Prévenir la solitude des jeunes adultes dans le contexte de la pandémie » (INSPQ, 2020) vient renforcer cette idée.

Ça reste un des rares lieux en ce moment où on est là pour avoir du fun. Il n’y en a pas beaucoup de lieux en ce moment pour avoir du plaisir … On va acheter, on va voir le médecin, on va voir son psychologue, on va à l’épicerie … Mais des lieux où tu te retrouves en groupe pour avoir du plaisir, il y en a très peu donc c’est quand même assez marqué dans le bien-être des gens quand ils viennent. (Membre de l’équipe CHP)

Les mardis, après l’atelier d’une heure, CHP offre au groupe un souper distancé en respectant les réglementations en cours (car elles changeaient constamment selon les avis de la santé publique). Moins intimidants et plus festifs, ces rendez-vous sont évidemment très prisés des jeunes, et les séances du mardi sont souvent plus remplies que celles des jeudis.

Il y a quelque chose de super intéressant dans le fait de pouvoir jumeler cirque social et nourriture, parce qu’on dit tout le temps que le cirque c’est comme une grande famille et faire des soupers de groupe, avec de la discussion de groupe et de l’animation de groupe pendant le souper, c’est super familial et c’est super festif. (Membre de l’équipe CHP)

L’interviewé·e précise qu’il·elle ressent que CHP a davantage développé ses outils sociaux pendant la première année de la pandémie. L’organisme a bonifié son intervention sociale, à proprement parler, en offrant un accompagnement plus individuel dépassant son mandat habituel. Les intervenant·e·s se sont retrouvé·e·s dans des situations qui nécessitaient un soutien dans les démarches sociales des jeunes qui en avaient besoin, puisque les autres organismes avaient fermé leurs portes. Il reste du cirque l’esprit de communauté et la capacité à inventer de nouvelles règles, à la marge, pour exister.

Créativité et corporéité

Le corps est un élément central dans les activités de cirque, de même dans le cirque social. Or, au début de la pandémie, ce corps a été fortement malmené, voire ignoré, aussi bien dans la sphère publique que la sphère privée, et il s’avérait important pour l’équipe de prévenir une déconnexion prévisible des participant·e·s face à leur bien-être physique et les accompagner à maintenir ou retrouver un rapport sain et bienveillant avec leur corps. Ainsi, les ateliers ont été conçus en vue de renouer avec ce corps négligé, voire soudainement « dangereux » en contexte de pandémie infectieuse. Plusieurs exercices impliquant le toucher, habituellement exploités dans les ateliers de CHP, tel que le main-à-main6 et d’autres acrobaties — devenus à risque — sont supprimés. L’équipe réfléchit aux enjeux moraux, sociaux et physiologiques qui sont abordés par les notions du toucher et du risque, centrales dans le cirque social, ainsi qu’aux manières de les opérationnaliser dans le respect des directives de la santé publique. En exploitant les multiples angles que peut évoquer le toucher, l’équipe CHP pousse plus loin la question de la « bulle physique » et aussi celle de la « bulle psychique » par divers exercices : un réel défi pour les jeunes aux trajectoires difficiles ou ayant vécu diverses formes d’abus et de violence. Les restrictions liées à la pandémie ont présenté une occasion d’aborder de front la question du consentement et le fait de comprendre et de nommer ses limites personnelles. Car si le cirque social de CHP pense que le toucher peut être utile pour réparer, les participant·e·s n’ont parfois pas conscience de leurs limites et de leurs traumatismes, et ne savent pas toujours exprimer leur refus ou leur gêne d’être touché·e·s. La pandémie permet de revoir ce qui est accepté de manière évidente et de le distinguer de ce sur quoi il est possible de reprendre son libre arbitre. Ainsi, ne plus se toucher et parler de cette nouvelle norme devient un nouvel outil social.

Au fil des ateliers, il semble y avoir moins de gêne à dire non, et les échanges font ressurgir des traumatismes qu’il est possible d’extérioriser. Quant à la question du risque, notamment la prise de risque physique — levier important de l’approche en cirque social — elle s’est trouvée freinée puisque les instructeur·trice·s, privé·e·s du toucher, ne pouvaient plus parer7. L’équipe s’attèle donc à traduire certains exercices, à en trouver l’essence et à en conserver les objectifs tout en respectant les mesures sanitaires. Pour donner quelques exemples concrets de pratiques de cirque social, pensons aux pyramides humaines — c’est-à-dire, l’empilement de personnes à partir d’une base plus large qui se réduit à mesure qu’on monte —, très utilisées pour travailler la confiance du groupe ainsi que l’écoute et l’adaptation mutuelles. Les équipes de CHP proposent des activités qui activent les mêmes ressorts.

On travaille avec des jeux de miroirs, des jeux d’écoute et de reproduction de mouvement collectifs, qui passent par le corps mais qui ne nécessitent pas de toucher. On a intégré des cordes pour faire des jeux de contrepoids et il y a de longues cordes, donc c’est un « contact » avec objet interposé si on veut. (Membre de l’équipe CHP)

C’est un exercice où des personnes se placent à chaque bout d’une corde, bien distancé·e·s les un·e·s des autres, et travaillent à l’équilibre du groupe par ajustements mutuels sans aucun contact. Dans les jeux de miroirs, les participant·e·s, en alternance, reproduisent à distance les mouvements de la personne placée en face sans jamais la quitter des yeux, ce qui nécessite à la fois observations, écoute de l’autre et créativité personnelle.

CHP exploite davantage des sujets qui répondent particulièrement aux besoins du moment — la confiance en soi et le soin de soi, la créativité, l’empowerment et la résilience — pour enclencher un « lâcher-prise », l’acte de « sortir de sa tête » et aussi toute la dimension collective pour faire un pied de nez à l’isolement. En plus de remuer toutes les facettes du cirque social, CHP fait encore plus largement appel à d’autres arts et pratiques comme la danse, la méditation et la création de masques et de costumes, intégrés selon les aléas et au rythme de la pandémie et des directives de la santé publique.

Tout ce qui est « artistique », comme les arts visuels — ça a vraiment répondu à beaucoup de gens. On a fait des masques et ça a vraiment parlé à la gang8, des choses comme ça … D’habitude, quand on fait des créations collectives, on a moins de temps après pour ce qui est a trait aux costumes, toucher la matière et se créer un personnage … mais soudainement, on l’a ce temps, parce qu’on a moins de temps pour autre chose. On réalise que ça va beaucoup chercher certaines personnes, et le résultat est autant là que si on avait fait une pyramide ou un autre médium artistique. (Membre de l’équipe CHP)

La force d’une équipe

La capacité d’adaptation est le résultat d’une équipe qui communique bien, qui est dans l’échange constant, qui doute, qui remet en question ses pratiques et ses méthodes, qui est à l’affût de nouvelles propositions et ouverte à l’essai et aux erreurs. Instructeurs, instructrices, intervenants et intervenantes réfléchissent ensemble, œuvrant à une approche résolument globale où rien n’est jamais figé et où l’intuition demeure un outil de travail respecté.

On fait toujours une heure de planification avant nos ateliers et je pense que c’est vraiment précieux. L’équipe [intervenant.e.s et instructeur.e.s, nda] se rassemble et on fait un plan de match. Souvent on adapte au fil de l’atelier, on va le sentir. Si on a préparé un atelier qui est énergisant et euphorisant mais qu’on voit que le groupe ne répond pas, qu’il n’a pas besoin de ça, on se communique et on adapte. (Membre de l’équipe CHP)

Je pense qu’on a une équipe qui démontre une adaptation extraordinaire. (Membre de l’équipe CHP)

Ces échanges et ces partages, qu’ils concernent spécifiquement les ateliers ou les expériences qu’en font les membres de l’équipe, sont valorisés au point qu’ils sont reconnus comme faisant partie du travail.

Et j’avais jamais eu ça dans aucun travail, autant de temps de communication, payé, à réfléchir ensemble. C’est riche. Sur la notion de travail d’équipe et de travail en tant que tel. C’est quand même un beau message que tu donnes à ton équipe quand tu leur dis je vous donne l’espace pour régler vos conflits et ça fait partie de votre travail. Donc c’est pas quelque chose que tu ramènes chez toi et que tu cumules et que ça devient personnel. Non, de l’espace pour le vivre. (Membre de l’équipe CHP)

CHP possède une philosophie globale qui déborde les ateliers de cirque social — une manière d’interagir avec le monde. À l’heure du repli sur soi de la planète, CHP et quelques autres irréductibles continuent de prôner l’ouverture, l’accueil et l’échange, tout en tenant compte de la sécurité de chacun·e. À la différence de plusieurs autres services dédiés à la jeunesse, dont les équipes ont été démantelées, celle de CHP s’est agrandie, relativement confiante dans le fait qu’elle peut faire face à des situations inédites et complexes. À la rentrée 2021, les repères « d’avant » se réinstallent doucement, dans un organisme qui a gagné en ampleur et donc … en responsabilités. Et c’est ainsi que la pandémie a fait que CHP a dépassé ses mandats initiaux.

Un rôle culturel dans la communauté

Il est important de mentionner que le mandat de CHP s’inscrit depuis toujours dans le temps long, avec une importance donnée à la pérennité des programmes et aux accompagnements individuels. L’autodétermination des jeunes est au cœur de son approche. La transformation sociale est aussi envisagée de manière globale, considérant que l’influence de CHP et son potentiel d’essaimage sont non négligeables. Dans leurs termes : « CHP est comme une famille qui fait des petits et donc qui s’élargit tranquillement ».

On a beaucoup de nos instructeurs qui sont des anciens participants qui sont devenus instructeurs. […] À un certain moment, on avait une majorité de membres à CHP qui étaient des anciens participants ou anciens collaborateurs d’une façon ou d’une autre de CHP. (Membre de l’équipe CHP)

Cela n’est pas seulement vrai au sein même de l’organisme qui fonctionne par un système d’apprentissages et de progression, mais de manière plus étendue dans la communauté au niveau local et plus global, comme on le verra plus loin.

À Montréal, capitale autoproclamée de la production circassienne professionnelle mondiale, CHP s’adresse aux jeunes en grande difficulté, mais aussi aux personnes dont la situation est ambigüe — celles et ceux qui sont connu·e·s dans le milieu sous la dénomination « les cirqueux », des jeunes créatif·ve·s qui ne se sentent pas à l’aise dans les espaces d’entraînements professionnels de cirque ou n’y ont tout simplement pas accès. Plus précisément, on parle d’artistes semi-professionnel·le·s ou en voie de professionnalisation qui sont en manque de ressources en tous genres (pratiques, artistiques, sociales ou financières) et dont la précarité illustre bien les disparités propres au milieu circassien québécois. Leur situation s’est aggravée pendant la pandémie, puisque la Caserne — qui était connue pour son ouverture à la diversité et arrivait relativement bien à jouer un rôle d’intermédiaire dans le milieu — a fermé ses portes. Très sélectifs, les lieux d’entraînement qui ont pris le relais de la Caserne n’acceptent que des personnes satisfaisant des critères auxquels « les cirqueux » ne répondent pas ou ne veulent pas se soumettre.

Pour sa part, CHP reste un lieu réconfortant où absolument tout le monde est accueilli et peut trouver une place, voire même se sentir valorisé·e pour sa contribution au groupe. Lors des périodes pendant lesquelles les mesures sont moins strictes, CHP met en place des « jams de cirque » — des plages horaires où des professionnel·le·s du milieu, des « cirqueux » et des jeunes participant·e·s plus régulier·ère·s viennent partager de manière informelle un temps d’entraînement. Il ne s’agit pas exactement d’un cours ou d’un atelier, mais plutôt d’un espace de partage de savoirs. Ces sessions hebdomadaires sont ouvertes à tous·tes qui souhaitent s’entraîner dans l’échange, sans prérequis technique. C’est aussi l’occasion d’y mener un travail plus individuel pour développer des compétences, qu’elles soient techniques, scéniques, créatives ou sociales. Notons qu’en juillet 2023, ces Jams de cirque hebdomadaires étaient toujours très fréquentés par des participant·e·s aux profils variés.

La pandémie a également dévoilé un déficit de socialisation chez les artistes semi-professionnel·le·s et professionnel·le·s. Habitué·e·s à un certain cadre dans des milieux disciplinés — parfois disciplinaires — qui se sont soudainement disloqués, et fonctionnant sous la pression de la performance et peu dans le partage, ces dernier·ère·s ont soudainement fait face à un grand vide et beaucoup de remises en question. Pour certain·e·s, ce vide a pu être comblé grâce à des espaces comme les Jams de cirque ou, comme nous le verrons plus tard, par le truchement d’autres types de mandats nouvellement offerts par Cirque Hors Piste. Somme toute, CHP a joué un rôle d’intermédiaire dans le milieu du cirque en répondant à des besoins émergents de plus en plus variés de différentes populations socioartistiques de Montréal. L’organisme crée des ponts entre le cirque social et le cirque professionnel au Québec et réunit la jeunesse dans toute sa diversité. Autrement dit, les deux milieux, l’un professionnel et généralement happé par ses tournées internationales et ses réseaux bien huilés, et l’autre qui a pris racine localement, se sont découverts à Montréal pendant la pandémie.

La création pour générer des passerelles

Dans la mouvance de son rapprochement avec le milieu du cirque professionnel, CHP a souhaité développer sa dimension créative par-delà ses volets d’ores déjà bien établis9. Les conditions de la crise sanitaire imposant le confinement et donc le développement de projets artistiques très localisés, cette situation fut la bougie d’allumage vers de nouvelles avenues pour donner des ailes à la créativité de CHP. À l’été 2020, alors que les mesures sanitaires sont momentanément assouplies, la ville de Montréal cherche des moyens pour habiter ses rues à partir de propositions artistiques. Profitant du fait qu’elle attribue des financements pour des projets de création et de diffusion, CHP concrétise une idée qui ne demandait qu’à prendre forme depuis quelque temps : créer un spectacle réunissant participant·e·s aux ateliers de cirque social et artistes de cirque professionnel·le·s. La Famille Cirkonstance voit le jour : « un spectacle de prouesses circassiennes et de chorégraphies de personnages loufoques, qui abordent des thématiques actuelles avec un brin de folie ». Le spectacle est chorégraphié par un membre de l’équipe permanente de CHP.

On a mixé des jeunes avec des artistes professionnel·le·s pour faire une création plus déambulatoire à cause du contexte, mais la rencontre entre ces jeunes-là qui sont motivé·e·s par le cirque et les artistes professionnel·le·s qui rencontrent le social … On a réalisé que ce n’était pas prévu dans notre année, ça a émergé avec la pandémie, mais on a réalisé à quel point ça avait un potentiel parce que ça faisait du bien aussi aux artistes de travailler dans un contexte différent où c’est valorisant de redonner de ton art et dans lequel tu inspires. (Directrice générale)

Il s’agit d’un succès public. C’est vrai aussi pour les participant·e·s, bien que l’exercice représente un réel défi au niveau de la production. En effet, il faut faire face aux aléas de ce type de collaboration qui exige l’engagement des jeunes participant·e·s et des autres acteurs concerné·e·s — une valeur certes partagée, mais parfois difficile à appliquer. CHP construit donc un modèle de spectacle où les rôles peuvent être interchangeables et faciles d’appropriation sans perturber la création dans les cas où un·e des participant·e·s soit dans l’obligation de quitter le projet en cours de route. De plus, l’organisme se retrouve soudainement dans une position nouvelle où il peut donner du travail à des artistes de cirque montréalais·es reconnu·e·s, alors justement en quête de contrats. Parmi celles et ceux-là, on retrouve aussi bien des artistes diplômé·e·s de l’École nationale de cirque de Montréal, depuis longtemps en tournée avec des compagnies de renom, que d’autres plus indépendant·e·s. Initialement, le spectacle est joué devant les résidences de personnes âgées, mais rapidement, plusieurs arrondissements de la ville achètent le spectacle en format déambulatoire pour l’intégrer à leurs événements locaux. Le festival Montréal Complètement Cirque, qui a dû revoir sa programmation en fonction d’une réglementation sanitaire en fluctuation constante, propose à La famille Cirkonstance d’en faire partie. Ainsi, CHP se trouve dans les rues de Montréal avec une visibilité importante et surtout inédite, et La Famille Cirkonstance se transforme en mini-tournée alors que la collaboration artistique qui y est rattachée se constitue en petite troupe. En 2021, CHP reproduit cette expérience de création avec un nouveau spectacle — Synapses — qui se présentera vingt-deux reprises dans tous les quartiers de Montréal. La prochaine participation de CHP, toujours déambulatoire, dans le cadre de l’événement Montréal Complètement Cirque est programmée : Le Carnaval de cirque social. Longtemps considéré comme un lieu d’accueil de spectacles étrangers, Montréal Complètement Cirque est devenu, à la suite de l’expérience des « éditions du confinement », un partenaire essentiel de la communauté circassienne québécoise.

En exploitant les représentations artistiques dans l’espace public ou des événements corporatifs, CHP cherche à rendre visibles dans la communauté les jeunes personnes marginalisées et à développer auprès des publics spectateurs une prise de conscience relativement à leurs savoirs et à leurs habiletés. En outre, l’organisme érige des ponts concrets entre les mondes artistiques circassiens du Québec et des publics diversifiés, tant communautaires qu’institutionnels, publiques et privés, toujours dans une posture où le social est indivisible de son cirque. CHP obtient ainsi, petit à petit, une reconnaissance à titre d’acteur culturel local. En dépit d’une pandémie dont la fin demeure aléatoire, l’approche de cirque social de CHP s’est poursuivie et développée, et l’organisme a établi la légitimité de son rôle socioculturel et artistique dans un espace géographique grandissant.

Une portée au niveau national

En plus des partenariats locaux que CHP a mis en place avec méthode et stratégie, l’organisme s’est aussi distingué par son action pancanadienne qui s’est, elle aussi, consolidée pendant les années de la crise sanitaire. Cirkaskina — « tous ensemble » en langue Autochtone Atikamekw — est un réseau pancanadien et partenarial de cirque social qui vise à rejoindre les communautés canadiennes, aussi éloignées soient-elles, pour provoquer des échanges et offrir aux jeunes circassien·ne·s des occasions de collaborer et d’apprendre. Dans le sillon du programme Cirque du Monde, qui a initié le développement de plusieurs groupes de cirque un peu partout sur la planète (Rivard, 2008), CHP a dédié son cinquième et dernier volet à des jeunes d’un bout à l’autre du Canada. Un des axes de ce volet est un rassemblement annuel.

Janvier 2020 voit le premier rassemblement national, qui réunit 150 jeunes issu·e·s de dix-sept communautés du Canada. Organisé avec l’aide de jeunes ambassadeur·drice·s — porteur·euse·s des voix de leurs communautés —, l’événement réunit les jeunes de différents projets, praticien·ne·s et professionnel·le·s du cirque et du social, chercheur·e·s et gestionnaires de la culture. Ensemble, tout ce beau monde partage des ateliers de cirque, des savoirs du quotidien et même les planches de la TOHU; ainsi, ils·elles contribuent à la constitution d’un nouveau réseau de pratiques. L’événement connaît un immense succès, et les jeunes en redemandent. Cirkaskina s’inscrit en « rendez-vous sacré », une sorte de « fête nationale » du cirque social canadien qu’il faudrait tenir chaque année.

Cirkaskina, c’est comme un cheval de Troie dans la solitude, j’aurais envie de dire. En même temps, c’est vraiment beaucoup de travail. (Membre de l’équipe CHP)

Les trois objectifs sont de mobiliser les organisations, les praticiens et les jeunes en cirque social, les mobiliser selon différents besoins — les directions d’organismes n’auront pas nécessairement les mêmes besoins que les praticiens ou que les jeunes —, il y a aussi travailler la reconnaissance et le développement du cirque social au Canada, et le troisième objectif qui demeure très important pour Cirkaskina, c’est de toujours encourager la participation de jeunes leaders dans le développement des projets de cirque social. (Membre de l’équipe CHP)

En mars 2020, alors que CHP se penche déjà sur la mouture 2021, la COVID-19 frappe encore, mais l’organisme est déterminé à ne pas laisser tomber les jeunes. Tout, absolument tout doit alors être repensé. Il faut repenser aussi l’impensable : les liens humains dans le virtuel. Comment se rassembler … en ligne?

Au printemps 2021, l’événement a lieu sur la plateforme Zoom, alors que les jeunes se regroupent localement selon les règles et contraintes sanitaires en vigueur dans leurs provinces respectives. Envers et contre tout, l’amour du cirque — ludique, social, rassembleur — triomphe sur la peur de l’autre pour créer ce sentiment d’appartenance et de liberté permettant d’être soi-même, ensemble, même dans le virtuel. Pour les jeunes et les autres acteur·trice·s du cirque social au Canada, l’événement Cirkaskina est devenu un incontournable, une nécessité pour y puiser idées et énergie, pour voir fleurir de nouvelles amitiés et collaborations, pour espérer, pour se préparer au rassemblement de l’année suivante. Bien que la directrice de CHP insiste sur le fait que le projet est un partenariat avec les organismes de cirque social partout au Canada et que les directions et décisions sont prises en concertation avec ces derniers, l’organisme montréalais ne peut nier sa place de meneur et de coordinateur de ce mandat. Cela s’est confirmé et assumé ces derniers temps, puisque Cirkaskina ressort des confinements non seulement comme projet-événement annuel, mais représente désormais le volet national de CHP.

L’organisme Cirque Hors Piste établit des liens au sein d’une communauté de cirque social éparpillée à travers le Canada et dont les différent·e·s organisations et responsables se sentent parfois livré·e·s à eux·elles-mêmes. Une nécessité devenue encore plus criante en temps de pandémie. Par ailleurs, CHP devient une courroie de transmission en partageant ses connaissances du milieu et son réseau. L’organisme démontre ainsi son leadership quant à la responsabilité pédagogique et organisationnelle d’un cirque social responsable à travers le pays en ouvrant la voie vers des stratégies alternatives.

Transformer les contraintes en opportunités

La pandémie a signalé que les temps changent et que le cirque social québécois est là, en mouvement et bien en selle, jamais déconnecté de ses origines populaires — un art proche de la rue et de ses gens malgré les distances imposées, des formes plus petites et plus locales alors que le secteur s’était développé grâce à la tournée internationale de spectacles à grand déploiement. « Le cirque a besoin de redevenir social », nous dit une instructrice de CHP et directrice artistique des Productions Carmagnole, une compagnie de cirque québécoise. Pendant les années de crise, la marginalité, souvent associée au cirque, a été (re)mise à l’honneur. Dans « Du cirque social au cirque “alternatif ,” Cirque Hors Piste comme acteur de changement des perceptions de la marginalité. L’exemple du spectacle Le Cabaret du Corps Dada » (2022), Mathilde Perahia et Jacinthe Rivard avaient déjà fait le lien entre l’organisme de production circassienne communautaire et déjanté Carmagnole et Cirque Hors Piste. Elle y développait l’argument selon lequel la communauté Carmagnole était en partie née des pratiques de CdM (actuellement CHP), et de son approche qui valorise la marginalité et la singularité. Il ne semble désormais plus possible de nier que ces artistes, celleux de Carmagnole et celles et ceux qui ne cadrent pas selon les normes sociales et esthétiques qui prévalent, participent activement au renouvellement des formes et des pratiques, et donc à revivifier le milieu.

Depuis toujours, une des spécificités de l’organisme CHP, quoique pendant longtemps ignorée, se trouve dans le fait qu’il est à la charnière du social et des arts : c’est une grande force, mais aussi un enjeu. Si l’organisme a réussi à se faire reconnaître par les instances sociales, il a longtemps eu du mal à se faire admettre dans le monde du cirque, à s’y intégrer. Longtemps victime de préjugés, car faisant mauvaise figure face à une image soignée du cirque des prouesses athlétiques exceptionnelles, CHP a pourtant indéniablement joué un rôle de l’ombre dans la communauté plus alternative de cirque. Aujourd’hui, l’organisme représente désormais indéniablement un terrain de véritables rencontres où toutes les franges de la communauté circassienne peuvent partager, explorer et dialoguer artistiquement. D’ailleurs, les discours et les postures semblent changer puisque, dans son infolettre de juillet 2021, CHP se présente pour son « action sociale et artistique ».

En guise de conclusion : enjeux et avenir de Cirque Hors Piste et de son cirque social

Cirque Hors Piste a fait preuve d’une adaptabilité et d’une créativité hors-norme depuis le début de la pandémie en poursuivant ses activités, élargissant ses mandats et faisant reconnaître son travail auprès de diverses institutions. L’organisme a réussi à amplifier son cadre d’action, à structurer ses opérations, à agrandir son équipe et à ouvrir de nouveaux services. Il est désormais au cœur d’un réseau national de cirque social et moteur du développement de la pratique « cirque-socialienne ». En améliorant ainsi sa visibilité, aussi bien dans l’espace public qu’auprès des communautés sociales et culturelles de la province, l’organisme CHP a acquis une reconnaissance du milieu et s’est créé une place comme acteur et partenaire jeunesse désormais incontournable — et Cirkaskina, son volet national, n’est pas le moindre de ses mandats. Or, qui dit reconnaissance, dit alors responsabilités et charges de travail supplémentaires, ainsi que l’entrée dans le cercle aventureux des attentes; des mandats et activités multiplié·e·s; des subventions imposantes; et, à nouveau, des attentes qui les accompagnent, et donc des périls de l’institutionnalisation. Bien réels, ceux-ci peuvent déstabiliser, fragiliser, voire questionner l’autonomie d’être et de penser, la part d’informel et d’intuitif dans les pratiques — le cirque social comme une famille — qui font d’ailleurs actuellement la fierté de CHP.

D’un autre côté, le cirque social, s’étant longtemps positionné face à la pratique récréative, doit aujourd’hui gérer des questions de professionnalisation. Pour certain·e·s, CHP est une porte d’entrée vers des écoles plus professionnalisantes. On peut se demander si l’approche de l’organisme, qui tend davantage vers le communautarisme que le perfectionnement, est en mesure de préparer adéquatement des jeunes aux cadres des institutions professionnalisantes. Est-ce véritablement son rôle? Ou faut-il penser à des étapes intermédiaires, telles que des écoles préparatoires, séminaires ou autres? Le cirque social devrait-il se cantonner à une dimension non professionnelle? D’ailleurs, comment définir le ou la professionnel·le de cirque social et son statut dans la communauté artistique? Les lignes se floutent pour certain·e·s, et la reconnaissance n’est pas acquise dans tous les milieux. Cela vient soulever la question des frontières mouvantes du milieu professionnel qui a été lourdement éprouvé depuis le début de la pandémie. La professionnalisation, lente et progressive, de certaines activités de CHP — et donc le rapprochement avec un milieu plus normé, performatif et mieux financé — peut ébranler les assises de l’organisme et l’éloigner de ses objectifs premiers. Le caractère avant-gardiste, novateur, engagé et familial de la petite équipe actuelle pourra-t-il résister à la croissance, présente et annoncée, de ses mandats et de ses projets?

En janvier 2023, CHP a pris la gestion de La Caserne, lieu de formation et d’entraînement plusieurs fois évoqué au cours de cet article. Il se trouve ainsi mandaté pour accompagner l’entraînement de toute une communauté d’artistes professionnel·le·s dans un lieu désormais partagé avec ses ateliers, « son monde », et répond donc à deux codes de vie particuliers. Dans le contexte du cirque québécois, structuré jusqu’à très récemment par et pour les grandes structures institutionnelles (le Cirque du Soleil, l’École nationale de cirque et la TOHU, mais aussi le Cirque Éloize à la Gare Dalhousie et le centre de production Les 7 doigts de la main), c’est un signe très fort pour le milieu en pleine émancipation : celui de créer, jusque dans son lieu physique, des passerelles humaines et sociales entre ces deux univers. CHP, d’ores et déjà, sera le gardien de cette passerelle.

Le cirque social est une façon de faire qui déborde largement de la pratique du cirque. Il s’incarne dans une philosophie et une utopie nécessaires, proposant une manière d’envisager les rapports sociaux de façon égalitaire et de penser, au cœur même de la création, tout enjeu comme étant source de solutions innovantes et audacieuses. En ce sens, le cirque social repose sur une démarche axée sur « la co-construction et l’expérimentation qui valorise les droits à la dignité, à l’égalité, à l’expression de tout un [sic] chacun·e, une approche “par et pour” qui renforce l’empowerment ou, autrement dit, l’affirmation de l’être et du pouvoir d’action »10.

Le cirque social plus largement, c’est une façon de faire quelque chose au niveau de la communauté, c’est une façon de provoquer des rencontres dans la communauté, entre étudiants, dans les arts du cirque, l’aspect social du cirque social, provoquer des rencontres et changer aussi les perceptions. (Membre de l’équipe CHP)

Plutôt que d’évoluer en silo, Cirque Hors Piste privilégie des stratégies de mutualisation et d’hybridation des pratiques qui viennent se nourrir entre elles, et la pandémie semble avoir accéléré la progression et la maturation de l’organisme. Le CHP d’aujourd’hui, post-confinement et pancanadien, offre un modèle de développement à d’autres groupes de cirque social. Plus encore, et pas seulement pour le cirque, il représente une forme d’incubateur culturel et social qui, en plus d’ouvrir la voie sur de nouvelles approches d’intervention sociale, propose des perspectives inspirantes pour toute pratique qui s’appuie sur la pédagogie et la créativité.

Notes

  1. Sur le sujet, lire l’article « From Cirque Global to Local Circus: the Quebec Professional Circus Scene during the COVID-19 Pandemic » de Louis Patrick Leroux dans ce même numéro.
  2. Cirque du Monde, un programme philanthropique du Cirque du Soleil, a été entre 1995 et 2020 un réseau international de développement et de soutien du cirque social aux quatre coins du monde proposant une vision propre du cirque comme outil d’intervention sociale (Rivard, 2008). Le programme n’existe plus en tant que tel, mais il a accompagné de nombreux projets, plusieurs ayant survécu jusqu’à ce jour.
  3. « Le cirque des jeunes garçons » (traduction libre).
  4. Le terme « distanciation sociale » a finalement été remplacé par celui de « distanciation physique » par la santé publique afin de mieux reconnaître que ce n’était non pas la socialisation des personnes qui était facteur de risque, mais le rapprochement physique.
  5. Les subventions ont été obtenues par Louis Patrick Leroux en partenariat avec Cirque Hors Piste, le partenaire désigné. Mathilde Perahia et Mélanie-Béby Robert (alors deux étudiantes à l’Université Concordia) et la collègue Jacinthe Rivard de l’Université de Montréal ont contribué aux différentes étapes de la recherche, dirigée par Louis Patrick Leroux.
  6. Le main-à-main est une discipline acrobatique réalisée par deux ou plusieurs acrobates au sol. Un·e porteur·euse réalise diverses figures de force, d’équilibre, d’élévation ou de souplesse avec un·e voltigeur·euse, en la ou le portant sur les mains ou sur la tête (Barlati, 2018).
  7. Parer (« spotter », en anglais to spot) « consiste à assurer la protection d’un camarade ou encore à l’aider à réaliser un exercice. L’apprentissage se situe à la fois au niveau de l’acquisition d’un mouvement et de la responsabilisation de chacun au comment aider et protéger l’autre » (Dagenais et coll., 1999 : 12, feuillet 7).
  8. Expression québécoise qui décrit un groupe d’ami·e·s rapproché·e·s.
  9. Précisons que l’un des volets de Cirque Hors Piste, Les services créatifs, jumelle « artistes professionnel·le·s, artistes de la relève et jeunes en situation de précarité pour offrir au grand public animations, spectacles, ateliers de cirque et activités de consolidation d’équipes team building. » (Rivard et coll., 2018 : 19)
  10. Dans le dossier de candidature de Cirque Hors Piste pour le Prix d’Excellence du réseau de la santé et des services sociaux.

Références

Barlati, A-K. « Les disciplines ». École nationale de cirque, 2018, ecolenationaledecirque.ca/#acrobatie-au-sol. Répéré le 1 aout 2023.ecolenationaledecirque.ca/#acrobatie-au-sol

European Youth Circus and Education Network. « Framework of Competences for Social Circus Trainers ». Caravan Circus Network, 2010, caravancircusnetwork.eu/wp-content/uploads/2015/02/LEO1fnalLOW2.pdf.caravancircusnetwork.eu/wp-content/uploads/2015/02/LEO1fnalLOW2.pdf

Cirque Hors Piste. Mémoire déposé par Cirque Hors Piste, organisme communautaire en cirque social œuvrant auprès de jeunes en situation de grande précarité ou d’itinérance à Montréal dans le cadre des consultations concernant les effets de la pandémie sur la santé mentale du MSSS, février 2021.

Dagenais, Christian, Céline Mercier et Jacinthe Rivard. Guide à l’intention des instructeurs et des partenaires du Cirque du Monde. Montréal, Cirque du Soleil, 1999.

Hotier, Hugues. La fonction éducative du cirque. France, Éditions L’Harmattan, 2003.

« Prévenir la solitude des jeunes adultes en contexte de pandémie ». INSPQ, décembre 2020, inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3104-solitude-jeunes-adultes-pandemie-covid19.pdf.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3104-solitude-jeunes-adultes-pandemie-covid19.pdf

Lafortune, Michel, et Annie Bouchard. Community Worker’s Guide: When Circus Lessons Become Life Lessons. Montréal, Cirque du Soleil, 2011.

Lavers, Katie, et John Burtt. « Social Circus in the Arctic: Cultivating Resilience ». Journal of Arts & Communities, vol. 7, no. 3, 2015, pp. 125–139.

Leroux, Louis Patrick. « From Cirque Global to Local Circus: the Quebec Professional Circus Scene during the COVID-19 Pandemic ». Circus: Arts, Life and Sciences, vol. 2, no. 2, 2023.

Leroux, Louis Patrick, et Charles Batson (directeurs). Cirque Global : Quebec’s Expanding Circus Boundaries. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2016.

Perahia, Mathilde, et coll. « Cirque Hors Piste et cirque social à l’époque de la distanciation sociale ou physique ». Rapport de recherche présenté à l’organisme Cirque Hors Piste, 2023.

Perahia, Mathilde, et Jacinthe Rivard. « Du cirque social au cirque “alternatif.” Cirque Hors Piste comme acteur de changement des perceptions de la marginalité. L’exemple du spectacle Le Cabaret du Corps Dada ». Nouvelles Pratiques des Arts, 2020.

Rivard, Jacinthe et coll. Créations Collectives. Cirque social et pré-employabilité en 4 actes. Montréal, Cirque Hors Piste, 2018. www.cirquehorspiste.com/publications.www.cirquehorspiste.com/publications

Spiegel, Jennifer Beth. « Social Circus: The Cultural Politics of Embodying “Social Transformation ». The Drama Review, vol. 60, no. 4, 2016, pp. 50–67.