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Article

Glossaire de l'éditeur : Le problème du monolinguisme dans la production du savoir universitaire

Authors
  • Janneke Adema
  • Alyssa Arbuckle orcid logo (University of Victoria)
  • Élika Ortega (University of Colorado Boulder)

How to Cite:

Adema, J., Arbuckle, A. & Ortega, É., (2024) “Glossaire de l'éditeur : Le problème du monolinguisme dans la production du savoir universitaire”, The Journal of Electronic Publishing 27(1). doi: https://doi.org/10.3998/jep.6612

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Published on
2024-09-20

Bien qu’il existe environ 7 000 langues vivantes connues dans le monde, la recherche universitaire est communiquée principalement en anglais (Neylon et Kramer 2022). Se référant aux recherches menées par Daphne van Weijen (2012), le communicateur scientifique Adam Huttner-Koros (2015) écrit: << L’anglais est aujourd’hui si répandu [dans la recherche] que dans certains pays non anglophones, comme l’Allemagne, la France et l’Espagne, les articles universitaires en anglais sont plusieurs fois plus nombreux que les publications dans la langue du pays. Aux Pays-Bas, l’un des exemples les plus extrêmes, ce rapport est étonnamment de 40 pour 1 >>. Quelles sont donc les implications de l’existence d’une lingua franca pour la recherche? Une lingua franca ne devrait-elle pas permettre d’apprendre plus facilement les uns des autres, de s’appuyer sur les idées de chacun si tout le monde lit et écrit dans la même langue? Comme l’ont souligné Huttner-Kronos et Sean Perera (2016), << la communication scientifique en anglais promeut … des normes de description et de définition du monde naturel qui sont intrinsèques à la langue anglaise, et des idéologies qui sont familières à ses locuteurs natifs. >> La langue façonne le monde à bien des égards; elle peut définir l’expérience d’une personne en la nommant, en la métaphorisant, en la réfléchissant, en la représentant. Communiquer toute la recherche dans une seule langue signifie que la langue façonne également la recherche. La langue façonne ce qu’il est possible d’exprimer, de contextualiser ou de révéler. Si la recherche est principalement communiquée en anglais, elle est liée aux contextes et aux visions du monde de la langue anglaise. En outre, parmi les contextes influencés par la langue, on trouve des modèles et des structures d’édition également dominants. En dominant la langue, un tel système hégémonique favorise l’injustice épistémique (Fricker 2007). En outre, le fait de privilégier la langue anglaise dans la communication savante marginalise et désavantage les chercheurs et chercheuses dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, ou qui ne parlent pas du tout l’anglais, ce qui réinscrit un cadre colonial pour la production de connaissances et limite la diversité du développement de la recherche universitaire. D’un point de vue pragmatique, l’utilisation de l’anglais comme lingua franca de facto a un impact sur le temps nécessaire à la réalisation d’activités de recherche fondamentales telles que la lecture d’articles (Amano et al. 2023). Même un environnement multilingue où, par exemple, l’anglais, le français et l’espagnol coexistent, réifie encore les ordres impériaux du monde.

L’augmentation du monolinguisme dans la production de connaissances universitaires affecte certainement les auteur(e)s et les lecteurs ou lectrices dont la première langue ou la langue la plus courante n’est pas l’anglais. Mais elle a également des répercussions à un niveau plus large et plus systémique. En 2020, un atelier intitulé << Disrupting Digital Monolingualism >> s’est déroulé en dehors de l’écosystème universitaire afin d’examiner l’omniprésence de l’homogénéité linguistique dans les espaces en ligne et les outils numériques. S’appuyant sur les travaux d’Anasuya Sengupta de la campagne Whose Knowledge?, le rapport de l’atelier démontre que moins de 10 % des langues du monde sont représentées en ligne, dans les documents publiés. En outre, les utilisateurs de dix langues seulement représentent plus de 75 % de l’ensemble des utilisateurs d’Internet dans le monde, la plupart d’entre eux opérant en anglais ou en chinois mandarin (Spence 2021, 9). Il s’agit là d’un exemple clair de domination et de préjugés linguistiques. Une telle domination linguistique dans les espaces numériques est particulièrement préoccupante si l’on considère à quel point l’internet et les outils numériques sont devenus centraux dans notre monde contemporain. Le rapport Disrupting Digital Monolingualism cite Mandana Seyfeddinipur (Endangered Languages Archive), qui affirme que la diversification des langues dans le monde en ligne est << notre responsabilité politique (pour garantir la justice linguistique), notre responsabilité éthique (pour soutenir la diversité), une responsabilité historique/humanitaire et une responsabilité académique (pour garantir l’intégrité et la reproductibilité de l’information) >> (Spence 2021, 10–11). Afin de lutter contre le monolinguisme numérique, la perte de culture et la marginalisation qu’il provoque, les participants à l’atelier ont souligné le besoin critique de revitalisation des langues, de numérisation équitable à l’échelle mondiale, de traduction automatique et de publication et de partage de la recherche multilingue.

Les participants à l’atelier Disrupting Digital Monolingualism sont loin d’être les seules voix à s’exprimer sur cette question. Les chercheurs et chercheuses en communication scientifique se sont intéressés de près à la question (Harding 2015; Amano, González-Varo et Sutherland 2016; Sivertsen 2018), tout comme les chercheurs et chercheuses en géographie critique, comme l’a montré Anssi Paasi (2015). En 2019, un groupe de signataires a annoncé l’Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme, un engagement à, entre autres activités, << promouvoir la diversité linguistique dans les systèmes d’évaluation et de financement de la recherche >> (Initiative d’Helsinki 2019). En outre, les études sur les humanités numériques - un domaine dans lequel nous, les corédacteuses de ce numéro spécial, avons été étroitement impliqués - ont récemment connu une montée en puissance concernant la nécessité d’encourager des approches plus multilingues. L’une des corédactrices, Élika Ortega (2019), soutient dans des travaux antérieurs que la facilitation délibérée de zones de contact entre des praticiens de différentes régions qui travaillent dans des langues différentes favoriserait une écologie des connaissances plus diversifiée pour les humanités numériques en tant que domaine, ce qui est essentiel à leur maintien et à leur évolution. Thea Pitman et Claire Taylor (2017) proposent dans un article du Digital Humanities Quarterly qu’une approche interdisciplinaire réunissant les langues modernes et les humanités numériques serait bénéfique et enrichissante pour les deux disciplines. Ces conversations deviennent si répandues et urgentes qu’un groupe Multilingual Digital Humanities s’est formé, qui se décrit comme << un réseau international peu structuré de chercheurs et chercheuses utilisant des outils et des méthodes des humanités numériques dans des langues autres que l’anglais [qui] travaillent dans de nombreux environnements, notamment dans les universités, les bibliothèques, les musées et au-delà, mais partagent l’objectif d’accroître la visibilité de la recherche dans et sur de nombreuses langues >> (Multilingual Digital Humanities, n.d.), et Lorella Viola et Paul Spence rassemblent une grande partie de ces travaux dans une collection éditée publiée en 2024 et intitulée Multilingual Digital Humanities. On comprend de plus en plus qu’une discipline monolingue est à la fois excluante et qu’elle limite artificiellement le potentiel de production de connaissances nouvelles et innovantes, un sentiment qui se répercute dans le contexte plus large de l’édition des sciences humaines.

Le multilinguisme en tant que pratique éditoriale

Nous avons entrepris d’éditer ce numéro spécial dans le but de rassembler et de conserver un ensemble de réflexions qui éclairent l’état actuel de l’édition multilingue et démontrent les progrès réalisables dans les projets multilingues. Nous souhaitions également faire progresser notre propre pratique éditoriale et celle de la revue. Cependant, s’interroger sur les enjeux du monolinguisme dans les communications savantes et tenter de contrer ses habitudes tenaces et ses modèles autoperpétués sont beaucoup plus difficiles qu’il n’y paraissait au départ.

Comme nous l’avons appris en travaillant sur ce numéro spécial, la publication multilingue est un défi pragmatique. La diffusion d’un appel à propositions est souvent limitée par des réseaux établis qui peuvent ne pas entrer en contact pendant le cycle de vie du numéro de la revue. Le réseau et le rayonnement de JEP, en tant que revue soutenue par l’université du Michigan et dont les précédents rédacteurs en chef sont originaires des États-Unis et du Royaume-Uni, sont, comme nous devons le reconnaître, fermement ancrés dans un contexte anglophone, tant historiquement qu’aujourd’hui. Probablement poussés par les limites de notre propre appel à propositions, qui a été publié uniquement en anglais avec une invitation à répondre dans plusieurs langues et à traduire, les universitaires qui étudient la publication dans une variété de langues et de contextes ont principalement choisi d’écrire en anglais, à une exception près (et une traduction supplémentaire). Nous en déduisons que cette prédominance de l’anglais s’explique par diverses raisons. Comme le soulignent Johannes Sibeko et Mmasibidi Setaka dans leur article de ce numéro spécial, les auteurs peuvent se méfier d’une audience limitée, ainsi que du travail éditorial disponible (y compris l’évaluation par les pairs), lorsqu’ils publient dans une langue à faibles ressources. Christos Mais souligne dans son article que les auteur(e)s sont conscients du fait que la fétichisation des mesures dans le monde universitaire favorise la publication dans des revues indexées en langue anglaise. En outre, comme le démontre Bettina Schnell dans son étude des domaines plurilingues tels que les études de traduction et d’interprétation, la perception qu’ont les chercheurs et chercheuses de la pertinence et du prestige peut souvent dépendre de la publication en langue anglaise. Rétrospectivement, nous pensons également que la publication de notre appel à propositions en anglais uniquement a peut-être signalé aux auteur(e)s qu’ils et elles devaient répondre par des articles en anglais également. La traduction de l’appel à manifestation d’intérêt dans les langues que le JEP est en mesure de prendre en charge aurait pu donner des résultats différents.

Cependant, la traduction, bien que possible, peut être coûteuse et exigeante en main-d’œuvre et peut allonger le processus de production d’articles individuels et de numéros dans leur ensemble; il n’y a qu’une capacité limitée pour des activités telles que la révision et la correction d’épreuves dans plusieurs langues. Viola et Spence (2024, 3) sont confrontés à une tension similaire dans l’introduction de leur récente collection (en anglais), Multilingual Digital Humanities : << Nous sommes conscients de la contradiction qu’il y a à proposer un livre en anglais pour contrecarrer le parti pris prédominant en faveur de l’anglais. Nous soutenons cependant que ce livre perturbera en fait le monolinguisme [des humanités numériques (HN)] en augmentant la visibilité de la théorie et de la pratique des HN dans et sur des langues autres que l’anglais et en fournissant des perspectives autres qu’anglaises dans ce paysage des HN centré sur l’anglais >>.

Bien que nous cherchions à contrer le système hégémonique bien sédimenté dans la communication savante, nous avons parfois eu l’impression que le système réifie ses épistémès coloniales par le biais de ses infrastructures et de ses idéologies. Même si nous n’avons pas réussi à proposer une offre entièrement multilingue, l’édition de ce numéro spécial est un premier pas vers notre propre prise de conscience des préjugés linguistiques dans nos pratiques de publication. Elle nous a également incités à réfléchir à la manière de contrecarrer les préjugés linguistiques académiques et à explorer avec l’équipe de publication de l’université du Michigan la manière dont nous pouvons ajuster et améliorer les flux de travail éditoriaux pour soutenir le multilinguisme au sein de la JEP. À ce titre, nous nous inspirons de l’appel lancé par Roopika Risam dans son article de ce numéro spécial, qui invite les éditirices et éditeurs de revues à réfléchir à leur propre rôle pour << faciliter la diversité linguistique et l’équité dans les communications savants >>.

En préparant l’appel à articles pour ce numéro spécial de JEP, nous avons posé une question similaire à nos auteur(e)s potentiels: Comment intégrer et mettre en pratique la valeur du multilinguisme dans un système de communication et d’édition savantes plus équitable et plus juste sur le plan épistémique? Cette question fournit un premier éclairage théorique à travers lequel cette problématique peut être perçue. C’est également une question que nous continuerons à nous poser bien après la publication de ce numéro spécial.

Contenu

La première série d’articles de ce numéro spécial s’attaque directement aux politiques (éditoriales) de l’édition et de la traduction multilingues. Dans << Another Workflow Is Possible: Building Trust and Relinquishing Control for Multilingual Digital Publishing Futures >>, Roopika Risam relate son expérience et celle de Jen Guiliano dans l’édition de numéros spéciaux bilingues de Reviews in Digital Humanities comme stratégie centrale pour atteindre l’objectif de la revue de créer un espace accueillant pour les communautés minorisées. En plus de décrire les changements apportés à la production et aux flux de travail éditoriaux pour faciliter la publication bilingue, Risam retrace l’histoire de la publication de revues multilingues depuis le XIXe siècle afin de déloger efficacement le statu quo de l’anglais en tant que lingua franca. Il est important de noter que le texte de Risam nous a obligés à examiner notre propre praxis éditoriale et à réfléchir davantage aux défis de l’édition multilingue. Dans son article, Rebekka Kiesewetter se penche sur l’internationalisation de la recherche, en mettant l’accent sur les communautés discursives transitoires et multilingues. Pour Kiesewetter, il est très utile de faciliter la création d’un espace pour la diversité linguistique au sein d’institutions universitaires plus rigides et anglocentriques. Christos Mais démontre dans << Publish (in English) or Perish: Greek Academia and the Imposition of English Language >> que l’imposition par l’État grec de la publication en anglais est intégralement liée à l’impérialisme universitaire anglophone et à la fétichisation des mesures. Il plaide au contraire en faveur d’une publication multilingue en libre accès et d’une production de connaissances locale et socialement pertinente qui dépende moins de l’avancement académique individualiste.

De nombreux articles de cette collection soulignent l’importance de la publication de travaux de recherche issus de communautés linguistiques et de domaines d’études spécifiques, y compris celui de Mais. Dans son article, Reema Chowdhary se penche sur l’édition et la recherche multilingues en Inde. Elle étudie la diversité linguistique de l’Inde et la manière dont cette diversité se manifeste dans les différentes formes de production de connaissances universitaires dans le pays. Dans << Challenges in Intellectualizing Sesotho for Use in Academic Publications >>, Johannes Sibeko et Mmasibidi Setaka examinent le concept d’intellectualisation de la langue sud-africaine sésotho. L’intellectualisation, dans ce contexte, se réfère à la capacité d’utiliser une langue à toutes les fins, y compris les conversations quotidiennes occasionnelles et les discussions académiques plus techniques ou théoriques. Comme indiqué précédemment, Sibeko et Setaka examinent les nombreuses raisons pour lesquelles les gens ne publient pas dans des langues à faibles ressources ou marginalisées telles que le sésotho, y compris les préoccupations concernant le manque d’éditeurs/éditrices ou de pairs évaluateurs éligibles dans une langue spécifique; le fait que la recherche publiée dans une langue marginalisée peut ne pas être incluse dans les bases de données universitaires, réduisant ainsi la découvrabilité; et le fait que les humanités numériques ou les outils de traitement du langage naturel peuvent ne pas fonctionner avec un texte écrit dans une langue marginalisée. L’article de Bettina Schnell intitulé << Multilingual Scholarly Publishing: Exploring the Perceptions, Attitudes, and Experiences of Plurilingual Scholars in Foreign Language Publication >> interroge les chercheurs en traduction et en interprétation afin d’examiner comment un domaine qui semblerait idéalement adapté à la publication multilingue subit également l’impératif de publier en anglais. Faisant écho aux thèmes explorés par Sibeko et Setaka, l’étude de Schnell apporte un éclairage supplémentaire sur les motivations des chercheurs et chercheuses à publier en anglais, notamment la possibilité d’accroître la visibilité et l’impact de leur recherche, le fait que de nombreuses revues de premier plan n’acceptent que des manuscrits en anglais, et même la perception d’un moindre prestige des revues publiant dans les langues locales.

La pragmatique de l’édition multilingue est explorée dans une sélection d’articles qui examinent des études de cas spécifiques de livres, de revues et de plateformes, ainsi que les expériences et les réflexions des auteur(e)s sur l’édition multilingue et la traduction. Dans << Collective Translation as Forking (分岔) >>, Shih-yu Hsu (徐詩雨), Winnie Soon (孫詠怡), Tzu-Tung Lee (李紫彤), Chia-Lin Lee (李佳霖), et Geoff Cox (傑夫考克斯) réfléchissent à leurs expériences d’écriture et de traduction d’un livre en collaboration, comme s’il s’agissait d’un logiciel. Ils examinent les questions que cette approche pose par rapport à la politique de la traduction culturelle (c’est-à-dire l’appropriation, l’attribution et l’équité). Les auteurs et auteures soutiennent que la traduction en tant que pratique collective de réutilisation et de bifurcation basée sur des pratiques queer-féministes, intersectionnelles et anticoloniales peut remettre en question les conventions universitaires en matière de traduction et d’édition. Dans << ¿Qué tan equilibrado está el multilingüismo en la publicación científica? Un análisis global desde la base de datos del Directory of Open Access Journals (DOAJ)/How Balanced Is Multilingualism in Scholarly Journals? A Global Analysis Using the Directory of Open Access Journals (DOAJ) Database >>, Gimena del Rio Riande et Ivonne Lujano Vilchis utilisent la notion de << multilinguisme équilibré >> de Gunnar Sivertsen pour analyser la base de données DOAJ.2 Del Rio Riande et Lujano Vilchis constatent que, malgré une certaine augmentation des publications en espagnol, en portugais et en indonésien, la grande majorité des revues de la base de données DOAJ restent fortement centrées sur l’anglais. Les auteures suggèrent également que l’édition multilingue a lieu principalement à la périphérie des centres géopolitiques de l’édition universitaire, alors que ces centres continuent de privilégier la langue anglaise. Dans << Sustainable Growth of Multilingual Open Publishing Projects: The Case of Programming Historian >>, Riva Quiroga, Anisa Hawes, Anna-Maria Sichani et Charlotte Chevrie décrivent l’approche multilingue de l’édition mise en œuvre par la suite Programming Historian de revues méthodologiques sur les humanités numériques. Elles expliquent comment la mise en place d’une infrastructure de publication multilingue conforme à leurs valeurs en tant que projet a mis en lumière certains des défis et des complexités liés à la professionnalisation et à l’abandon de la dépendance à l’égard du seul travail bénévole.

Dans << Dealing with Multilingualism and Non-English Content in Open Repositories: Challenges and Perspectives >>, Christophe Dony, Iryna Kuchma et Milica Ševkušić se concentrent sur le rôle des dépôts ouverts dans la facilitation de l’édition multilingue. Leur article reflète les recommandations du rapport du groupe de travail de la Confederation of Open Access Repositories (COAR) sur le soutien au multilinguisme et au contenu non-anglais dans les dépôts. Ils soutiennent que les dépôts ouverts pourraient mettre en œuvre et promouvoir la publication multilingue à grande échelle; cependant, une telle entreprise ne peut se produire dans le vide et nécessite des changements dans l’infrastructure de recherche numérique plus large pour être couronnée de succès. Dans << Research Assessment Systems and the Effects of Publication Language: Manifestations in the Directory of Open Access Books >>, Ronald Snijder et Danny Kingsley examinent le biais anglophone de l’évaluation de la recherche et des bases de données bibliométriques appartenant à des entreprises (par exemple, Scopus et Clarivate), qui réduisent le multilinguisme et la bibliodiversité. Ils soutiennent que, bien que les schémas d’exclusion soient également visibles dans un environnement de libre accès non corporatif, les infrastructures de livres ouverts telles que la bibliothèque OAPEN et la DOAB offrent une alternative et peuvent aider à résoudre les problèmes d’équité linguistique et participative.

Des tensions techniques apparaissent également lors de la mise en œuvre de l’édition multilingue, y compris dans les flux de production. Les coauteurs et coauteures Quinn Dombrowski, Manish Goregaokar, Ben Joeng (Yang) et Abeera Kamran examinent l’impact des grands changements technologiques sur l’édition multilingue dans << Encoding Multilingualism: Technical Affordances of Multilingual Publication from Manuscripts to Unicode and OpenType >>. Ils se concentrent en particulier sur l’évolution de l’informatique multilingue et des normes d’encodage au fil du temps, y compris Unicode. Dans << Illegible Multiculturalisms: Making, Digesting, and Translating Empanadas and Doenjang-jjigae within Digital Monolingualism >>, Nicholas Bascuñan-Wiley et Matthew Jungsuk Howard présentent un projet de cuisine et d’écriture visant à examiner plus avant ces tensions techniques. Les auteurs proposent le concept de << multiculturalisme illisible >> pour souligner la dissonance entre le multiculturalisme en tant qu’utopie rendue possible par la technologie qui aplanit les différences qu’elle reconnaît et pour s’interroger sur le potentiel trouvé dans la lisibilité partielle d’expériences en dehors des expériences normatives. Pour les auteurs, l’illisibilité peut en fin de compte être une position qui permet de résister à la normativité du monolinguisme numérique en faveur d’une pluralité de multiculturalismes. Sarah Tew et Melissa Jerome offrent un compte rendu détaillé de la création d’un projet dans << Recetas de las Américas : A Case Study in Hugo Static Site Generator for Bilingual Web Publishing >>.3 Leur étude révèle un ensemble de considérations critiques - savantes, pratiques et techniques - pondérées de manière spécifique lorsqu’il s’agit de traiter plus d’une langue. L’article de Tew et Jerome vient s’ajouter à une liste croissante d’études consacrées au potentiel des sites statiques pour transformer les pratiques d’édition universitaire bien ancrées.

Enfin, dans son post-scriptum intitulé << Multilingualism in Scholarly Publishing: How Far Can Technology Take Us and What Else Can We Do >>? Lynne Bowker propose une réflexion récapitulative sur l’intersection entre les technologies émergentes et la recherche multilingue. Elle reconnaît le potentiel de la traduction automatique pour accroître le multilinguisme, mais affirme que la technologie n’est pas encore assez avancée. Il ne fait aucun doute, comme le révèle cette collection, qu’il reste encore un long chemin à parcourir dans la quête d’un système de communication savante plus multilingue.

Pris dans leur ensemble, les articles de ce numéro spécial illustrent les diverses facettes de la recherche et de l’édition multilingues au XXIe siècle. Comme le résume astucieusement Paasi (2015, 510), << les langues conditionnent l’élaboration des connaissances scientifiques. En effet, il existe une géopolitique inégale de la connaissance intégrée dans la communication. Les domaines académiques existent en grande partie à travers des forums de publication qui sont structurés de manière asymétrique dans l’espace mondial. >> En éditant ce numéro spécial, nous souhaitons attirer l’attention sur la production linguistique du savoir dans le monde universitaire et ajouter notre voix au chœur de ceux qui appellent à un écosystème de communication savante plus diversifié et multilingue.

Notes

  1. Veuillez noter que cette introduction a été traduite de l’anglais vers le français à l’aide d’une combinaison de traduction automatique et de correction éditoriale humaine.
  2. Cet article est publié dans sa version originale en espagnol et en traduction anglaise, à la demande des auteurs.
  3. Cet article est publié dans sa version originale en anglais et en traduction espagnole, à la demande des auteurs.

Références

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