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SIMBI: Une Transformation Intérieure par la Danse et l’Héritage Ancestral

Author: Laura Beaubrun

  • SIMBI: Une Transformation Intérieure par la Danse et l’Héritage Ancestral

    Article

    SIMBI: Une Transformation Intérieure par la Danse et l’Héritage Ancestral

    Author:

Abstract

Je m’appelle Laura Beaubrun, je suis danseuse, chorégraphe, art-thérapeute et éducatrice. D’origine haïtienne, je vis à Lausanne, en Suisse, depuis 2001. Aujourd’hui, je souhaite partager une expérience intime et transformatrice, qui s’est manifestée à travers mon corps et la danse. Une expérience qui m’a révélée à moi-même et m’a ouvert la voie d’une reconnexion profonde avec mon héritage ancestral. Cette quête a commencé avec la musique traditionnelle haïtienne et vodou, plus précisément à travers la chanson Simbi Dlo, une ode à l’esprit de l’eau, interprétée par mon frère Paul Beaubrun. Ce fut une révélation : mon corps est devenu un espace de mémoire, un pont entre les générations, entre le visible et l’invisible. La danse, en tant que langage incarné, est devenue le canal par lequel cette mémoire s’est réactivée, me permettant d’accéder à des dimensions enfouies de mon être et de mon histoire.

Keywords: visible et invisible, le corps - un espace de mémoire, langage incarné, ancêtres, Lakou, nature, Iwa

How to Cite:

Beaubrun, L., (2025) “SIMBI: Une Transformation Intérieure par la Danse et l’Héritage Ancestral”, Conversations Across the Field of Dance Studies 44. doi: https://doi.org/10.3998/conversations.8509

Published on
2025-12-22

Peer Reviewed

Introduction

Je suis Laura Beaubrun, danseuse, chorégraphe, art-thérapeute et éducatrice. Originaire d’Haïti et vivant à Lausanne, en Suisse, depuis 2001, je souhaite partager ici une expérience profondément intime et transformative vécue à travers mon corps et la danse. Cette expérience a ouvert un chemin vers une reconnexion profonde avec mon héritage ancestral. Ce voyage a commencé avec la chanson Simbi Dlo, une ode à l’esprit de l’eau interprétée par mon frère Paul Beaubrun. Elle a réveillé en moi des souvenirs enfouis et m’a permis d’entamer un parcours de guérison à travers le mouvement, la musique, l’eau et le rituel.

SIMBI - Performance rituelle

Vidéo de la performance complète « Simbi ». Credit musique: Paul Beaubrun, musique "Simbi Dlo"

1. Le Réveil d’une Mémoire Corporelle

Pendant deux mois, j’ai dansé inlassablement sur Simbi Dlo, portée par un appel intérieur. Une couleur, le bleu — de l’eau, du ciel, de l’infini, s’est imposée dans mes visions. Le rythme lancinant, les percussions profondes, la répétition des mots comme un mantra: Simbi Dlo mwen ye, DangbeAllah Wèdo* mwen ye (Je suis Simbi Dlo, Je suis DangbeAllah Wèdo), résonnaient en moi d’une manière inexplicable. J’ai senti la nécessité de matérialiser cette sensation, ce qui a donné naissance à un projet vidéo dans lequel je me suis incarnée comme figure centrale, en réponse à une proposition inattendue de mon frère.

Face à l’image de mon propre corps dans la vidéo, j’ai ressenti une profonde confrontation avec sa vulnérabilité, sa mémoire héritée et ses empreintes culturelles. Pourtant, une voix s’est élevée en moi, affirmant la justesse de mon geste. Un rêve est ensuite venu confirmer cette intuition, une femme africaine, les seins ornés de diamants, m’a murmuré : “Et alors ?” Un appel à l’authenticité, à l’acceptation de soi, au dépassement du regard social.

2. Simbi et la Mémoire de l’Eau

Dans la tradition du Vodou haïtien, Simbi est un esprit-serpent, lié aux eaux, aux sources et au savoir ancien. La danse que j’ai pratiquée est devenue une forme d’invocation, un rituel incarné. En dansant, je ne me contentais pas de bouger : je devenais un canal, le corps comme archive vivante.

L’eau, qui selon des recherches issues des sciences naturelles et sociales porterait la mémoire, est devenue le miroir de mes propres eaux intérieures. Des études sur la perception humaine et le bien-être suggèrent que l’eau peut refléter et influencer les états émotionnels et cognitifs (Nichols, 2014; Emoto, 2004; De Leo, 2023). Mon corps, largement composé d’eau, est ainsi devenu un réceptacle de mémoire, un espace où l’invisible pouvait se manifester.

Danser Simbi Dlo revenait à ouvrir une porte vers l’inconscient, entre ce qui est figé et ce qui cherche à être libéré. J’ai senti en moi s’éveiller une énergie ancienne, presque archétypale, une force à la fois familière et profonde. Ce processus m’a aidée à affronter mes peurs et à libérer une mémoire héritée, transgénérationnelle.

3. Le Lakou et l’Ancrage Culturel

Le lakou est un espace communautaire haïtien où l’humain vit en relation profonde avec la nature, les ancêtres et l’esprit. Ce lien est universel : les cultures d’expression originelles (souvent appelées à tort « primitives ») ont cultivé ces connexions entre le corps, le cosmos et la communauté.

En tant que chorégraphe et chercheuse, j’ai compris que ces formes d’expression rituelle sont des portes vers notre essence cosmique, vers le Soi.

Dans la spiritualité vodou, les lwas sont des énergies universelles tout comme les plantes médicinales. Simbi, Erzulie, Ogou, Legba… Chacun porte une qualité spécifique de transformation. En nous connectant à ces forces, nous éveillons la Conscience suprême en nous. C’est cela que m’a révélé le lakou : nous sommes des phares, des mapous* vivants, enracinés dans une sagesse immémoriale.

4. Méthodologie implicite : Le Rituel du Corps en Mouvement

Je n’ai pas utilisé de méthodologie académique formelle, mais plutôt une approche incarnée, intuitive, expérimentale. Mon outil, c’est le corps. Ma méthode, c’est le rituel. L’écoute du rythme, la répétition du geste, la visualisation intérieure, la création d’un espace de confiance — voilà les fondements de mon processus artistique et thérapeutique. Chaque danse devient un laboratoire de transformation, où les savoirs ancestraux, les mémoires cellulaires et la spiritualité se rencontrent.

Note d’intention : Clarification sur l’usage du terme « primitif »

Lorsque j’utilise le terme « expression primitive », je l’entends dans son sens étymologique, issu du latin primitivus : premier, originel.

Il ne s’agit ni d’un jugement de valeur ni d’une référence à un exotisme colonial. Bien au contraire cela renvoie à un retour à l’essence, aux racines de l’expression humaine sacrée, intuitive et universelle.

Ces formes anciennes d’expression corporelle, sonore et symbolique sont celles que je cherche à honorer dans mon travail, car elles portent une connaissance de la vie qui demeure profondément actuelle.

Dans ce contexte, le terme « primitif » est employé avec une intention anthropologique, historique et artistique, en résonance avec les recherches de Katherine Dunham, anthropologue et chorégraphe afro-américaine, qui a intégré les danses rituelles haïtiennes dans sa pratique artistique, en reconnaissant leur complexité et leur portée culturelle (Dunham, 1969).

Herns Duplan, danseur et pédagogue haïtien, a quant à lui développé l’approche de l’Expression Primitive, explorant la notion d’« oraliture » et la tradition vivante dans les arts populaires haïtiens (Duplan, n.d.).

Tous deux ont reconnu, dans les formes dites « primitives », une sagesse symbolique et incarnée, une résistance culturelle, ainsi qu’un potentiel de transformation à la fois individuel et collectif.

Ces expressions sont ainsi revalorisées ici comme des langages puissants, porteurs d’une vitalité toujours présente dans l’art-thérapie contemporaine.

Conclusion

À travers Simbi Dlo, j’ai expérimenté une reconnexion radicale à ma mémoire ancestrale, à l’eau, à la danse comme rite de passage. Ce travail a ouvert un espace de transformation profonde où mon corps a pu redevenir un temple vivant. Je continue de danser aujourd’hui. Non pas pour performer. Mais pour me souvenir. Pour transmettre. Pour faire circuler une mémoire ancienne qui demande simplement à être entendue, honorée et libérée.

Remèsiman (Merci, en créole haïtien)

Mwen salye Manman Bondye ki nan syèl la, ki nan tout linivè a, ki nan nou e andeyò nou. Mèsi pou lavi, pou limiè w. Mèsi pou tout zansèt nou yo, pou tout lwa yo, zan yo, pou tout sa ki te la avan nou epi ki kontinye akonpaye nou sou chemen lanmou ak libèté. Mwen Se Simbi, Mwen se Vodou, Mwen se Lavi

Corps en mouvement exprimant la mémoire de l’eau et du ritual

Danse intuitive reprensantant l’esprtiat dansant. Credit photo: Lauren Pasche

l’Element de l’eau associé à Simbi

Mage évoquant la fluidité de l’esprit de l’eau – Le personnage, en couleur blanche, est couché sur l›eau, les bras grands ouverts. Credit photo: Lauren Pasche

Corps enveloppé dans un tissu bleu évoquant l’eau et la protection

Photographie avec drapé représentant le mystère de l’esprit. Credit photo: Lauren Pasche

Position assise, yeux fermés, présence intérieure

Instant de méditation corporelle, centrée sur la mémoire ancestrale, immobilité, silence, quête. Photo crédit: Lauren Pasche

Repos, calme, ondulation et parole intérieures

Corps méditatif, prise de parole. Photo crédit: Lauren Pasche

Regard intérieur

Photo crédit: Lauren Pasche.

Photos de Laura Beaubrun. Photo représentant la face cachée en nous, ou à décourvir en nous.

Un personnage de dos, le torse nu, coiffé d’un béret bleu. L’ambiance bleutée évoque la profondeur et la fluidité de l’élément eau. Photographie de Lauren Pasche.

Glossaire

  • DangbeAllah Wèdo* ou Damballah Wèdo : dans le panthéon vodou haïtien, Damballah est le lwa-serpent créateur, lié à la sagesse, à la fluidité et à la pureté. Il est associé à l’arc-en-ciel, à l’eau douce et à l’union cosmique. Sa parèdre est Ayida Wèdo, également représentée comme un serpent céleste, gardienne de l’équilibre et de la fécondité. Ensemble, ils symbolisent la circulation de l’énergie entre ciel et terre.

  • Mapous* = Le mapou appelé aussi fromager (fwomajye en langue haytienne), est considéré comme sacré. Il est le plus grand arbre en Hayti (30 m au moins). Dans l’histoire, on raconte que les Tainos (les anciens habitants d’Hayti) vénéraient déjà cet arbre majestueux, car pour eux il était habité par des esprits. Aujourd’hui, dans le vodou haytien, il est considéré comme un symbole de force, de sagesse, de grandeur et de magnificence.

References

Beaubrun, M. (2003). La danse de l’esprit : Recherches en Haïti sur le vodou, la transe et la guérison. Montréal, Canada : Mémoire d’encrier.

Beaubrun, M. (2011). Nan dòmi : Récit d’une initiation vodou. Montréal, Canada : Mémoire d’encrier.

Bench, H., & Elswit, K. (2022). Visceral Data for Dance Histories: Katherine Dunham’s People, Places, and Pieces. TDR: The Drama Review, 66(1), 69–91.  http://doi.org/10.1162/dram_a_01045

Cruz Banks, O. (2012). Katherine Dunham: Decolonizing Anthropology Through African American Dance Pedagogy. Transforming Anthropology, 20(1), 26–37.  http://doi.org/10.1111/j.1548-7466.2012.01151.x

De Leo, G. (2023). Aquawareness: An Innovative Holistic Practice. [Publisher].

Duplan, H. (1971). Expression Primitive [LP]. Paris: Le Kiosque d’Orphée.

Duplan, H. (1981). Rythmes pour l’Expression Primitive [LP]. Montreal: Unidisc

Emoto, M. (2004). The Hidden Messages in Water. Beyond Words Publishing.

Nichols, W. J. (2014). Blue Mind: The Surprising Science That Shows How Being Near, In, On, or Under Water Can Make You Happier, Healthier, More Connected, and Better at What You Do. Little, Brown and Company.